L’Europe, un jeu interactif entre gouvernants et gouvernés
Des doutes subsistent sur la capacité de nos dirigeants à agir rapidement et efficacement pour sortir de la crise. Encore faudrait-il que l’on soit prêt à les aider à trouver une solution.
Mario Draghi a réussi: même si les propos qu’il a tenus le 2 août dernier à l’issue de la réunion du conseil des gouverneurs de la BCE ont un peu déçu, l’espoir d’une prochaine intervention de la banque centrale sur le marché des emprunts d’Etat continue de soutenir la Bourse.
A Paris, le CAC 40 a retrouvé son plus haut niveau depuis quatre mois. Avec un peu de chance, l’été pourrait se passer sans heurts. Mais il ne faut pas se leurrer: les financiers ne se laissent pas distraire par les Jeux Olympiques ou émouvoir par le souvenir de Marilyn Monroe. S’ils ne voient rien venir dans les prochaines semaines, ils risquent de manifester bruyamment leur déception.
Il n’y aura pas de miracle
Mario Draghi s’est d’ailleurs montré très habile. Son discours du 2 août est une élégante façon de contrer la pensée magique à laquelle gouvernants et gouvernés européens paraissent avoir un peu trop tendance à se rallier actuellement: il suffirait que la BCE achète massivement les titres d’emprunt des Etats en difficulté (Italie et Espagne notamment) pour que les choses rentrent dans l’ordre et que la crise de l’euro se résolve comme par enchantement.
Le président de la BCE le rappelle avec insistance:
«Les autorités de la zone euro doivent poursuivre sur la voie de l’assainissement budgétaire, des réformes structurelles et du développement des institutions européennes, et ce avec une grande détermination».
Autrement dit, il n’y aura pas de miracle : la BCE est prête à intervenir de façon énergique, mais son action ne peut être qu’un complément de l’action des responsables politiques.
Ces derniers ont-ils bien compris le message? On voudrait en être sûr. Si la crise financière de 2008 a à ce point ébranlé l’Europe, c’est bien parce qu’il y a un problème de gouvernance de la zone euro. Celle-ci n’a pas encore les institutions politiques et économiques permettant le bon fonctionnement d’une véritable union monétaire.
Les décisions les plus importantes sont encore prises au niveau des Etats et les gouvernements ont d’abord pour objectif de satisfaire leurs électeurs nationaux. Sachant qu’aujourd’hui un Allemand ne peut pas voir les choses de la même façon qu’un Grec ou un Espagnol, on peut avoir des doutes sur la capacité des dirigeants politiques à adopter rapidement les mesures appropriées. Or, le temps joue contre l’Europe et l’euro.
Mario Monti met les pieds dans le plat
L’Italien Mario Monti a vu le danger et, dans un entretien à l’hebdomadaire allemand Der Spiegel publié le dimanche 5 août, il s’est inquiété de la longueur des processus de décision [EN] et des risques de freinage par les parlements nationaux:
«Si les gouvernements devaient se laisser complètement brider par les décisions de leurs parlements sans préserver leur espace de négociation, l’Europe risque davantage d’éclater que de renforcer son intégration».
La réponse d’Angela Merkel n’a pas tardé: dès le lendemain, son porte-parole faisait savoir que «la chancelière a conscience qu’en Allemagne les textes de loi doivent être soutenus par le parlement et que celui-ci doit participer à leur élaboration».
Mario Monti, pour calmer le jeu, a ensuite déclaré «n’avoir souhaité en aucune façon une limitation du contrôle parlementaire sur les gouvernements»; il voulait simplement un peu plus de «flexibilité» dans les négociations.
Ce faisant, le président du Conseil italien a soulevé un problème bien réel: plus encore que les membres des divers gouvernements européens, les parlementaires sont sensibles à l’état de l’opinion publique et il n’est pas sûr que celle-ci soit prête à accepter d’aller vers plus d’intégration. Si la majorité est eurosceptique, si elle est persuadée que l’Europe est le problème, elle n’acceptera pas que la solution proposée soit encore plus d’Europe.
Collectivement responsables
Pourtant, les gouvernants n’ont pas le choix: s’ils veulent sauver l’Europe et l’euro, ils doivent accepter et faire accepter que davantage de décisions soient prises au niveau européen. Le renforcement des institutions européennes n’est pas forcément antidémocratique: le contrôle parlementaire, pour certaines décisions, se déplacerait des parlements nationaux vers le parlement européen. Mais il faut que ce soit approuvé par l’opinion… et les parlementaires nationaux, ce qui n’est pas évident, du moins dans le contexte actuel.
On le voit bien en France: le traité de Maastricht n’a été adopté qu’à une courte majorité et le projet de Constitution européenne a été rejeté. Il n’est pas sûr qu’une majorité de la population soit prête à accepter que l’Union européenne évolue vers une Fédération. Et la question se pose en des termes similaires dans la plupart des autres pays de la zone euro.
Si la solution aux problèmes actuels réside effectivement dans plus d’Europe, nos gouvernants ont quelques raisons de penser qu’ils ne peuvent compter sur nous, citoyens, pour les appuyer et, dans ces conditions, nous ne devrions pas nous étonner qu’ils ne parviennent pas à trouver une issue à la crise; nous sommes, collectivement, responsables des échecs de nos gouvernants.
Jean-Claude Juncker a raison, mais….
Le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, inamovible président de l’Eurogroupe, avait toujours déclaré qu’une sortie de la Grèce de la zone euro ne faisait pas partie de ses hypothèses de travail; maintenant, il estime que cette issue serait «gérable», bien qu’elle ne soit pas «souhaitable».
On pourrait en dire autant d’un abandon de l’euro et d’un retour aux monnaies nationales dans toute l’Europe. Ce serait gérable, mais non souhaitable. Les avantages perdus de la monnaie unique pourraient être compensés par plus de souplesse en matière de taux de change pour les pays qui en ont besoin. Mais ce serait un retour en arrière en arrière dramatique. L’erreur est de croire que seules la monnaie et l’économie sont en jeu. En fait, c’est toute la construction européenne des soixante dernières années qui serait remise en cause.
Mais pour que nos gouvernants aient les moyens politiques de prendre les décisions qui s’imposent, il faudrait qu’ils nous redonnent envie de l’Europe. Le jeu est interactif: nos gouvernants sont paralysés, ils n’osent pas avancer à cause de nous et de nos réticences, nous avons les gouvernants que nous méritons, mais, en sens inverse, les gouvernants ont l’opinion publique qu’ils méritent.
S’ils avaient eux-mêmes une vision de l’Europe et des objectifs à atteindre, s’ils se montraient convaincants, s’ils faisaient l’effort de conquérir l’opinion publique plutôt que de rester à sa remorque, alors les choses pourraient changer.
S’il en est ainsi, peut-être un jour Mario Monti n’aura plus à avoir peur de l’influence négative des parlements nationaux. Mais il faudrait que ce jour soit proche. En tout cas, en France, le silence de nos dirigeants sur ces questions commence à devenir assourdissant. Il est temps que les vacances se terminent.