Euro : la cinglante défaite

Mario Draghi ne pouvait que décevoir. Les attentes et les spéculations étaient trop fortes, depuis que le président de la Banque centrale européenne (BCE) avait lancé, à Londres la semaine dernière, « être prêt à tout » pour défendre l’euro.

En quelques jours, la monnaie unique était passée de 1,20 à 1,23 dollar, les marchés boursiers étaient montés de plus 8%, les taux des dettes espagnoles et italiennes s’étaient détendus. Tout cela allait trop vite, trop fort, avaient averti certains observateurs, depuis le début de la semaine, en mettant en garde contre « l’irrationnelle exubérance des marchés ». La BCE ne pourrait jamais répondre à toutes ces attentes, avaient-ils prévenu, en rappelant à ceux qui se mettaient à rêver qu’elle ne pourrait jamais, compte tenu de ses statuts, avoir la même action que la Réserve fédérale américaine.

Mais aucun d’entre eux, malgré tout, n’avait prévu que la déception serait aussi forte. La sanction a été immédiate.

Durant l’intervention du président de la BCE, l’euro a décroché, perdant plus d’un centime et demi. Un record sur le marché monétaire. Les taux de la dette espagnole à dix ans ont fini à 7, 1% (en hausse de 6,3%), ceux de l’Italie sont repassés au-dessus de 6% pour terminer à 6,3% . La bourse de Madrid a terminé en baisse de 5%, celle de Milan de 4,6%. Bref, la crise de l’euro est repartie de plus belle.

la chute de l'euro pendant l'intervention de Draghi
la chute de l’euro pendant l’intervention de Draghi

Il suffisait de voir l’attitude sombre de Mario Draghi, accroché à sa feuille, relisant à plusieurs reprises le communiqué commun du conseil de la BCE, en réponse à des questions, afin de ne pas dériver et de ne pas laisser place à la moindre interprétation, pour comprendre: cette conférence de presse, sans doute une des plus suivies de l’histoire de la BCE, marquait la défaite de Mario Draghi. Tout ce qu’il avait pu tenter pour faire bouger les lignes ces derniers jours venait d’échouer face à l’intransigeance de l’Allemagne, suivie par les pays de l’Europe du Nord. La BCE ne changera pas de politique. Plus, elle monte encore d’un ton dans la défense d’une stricte orthodoxie monétaire. Le sauvetage de la zone euro passe par la mise en œuvre des réformes structurelles, et notamment sur le marché du travail, qui « doivent être appliquées avec détermination », comme le précise le communiqué.

Avant la conférence de presse, la BCE avait publié un communiqué annonçant qu’elle n’abaisserait son taux directeur, actuellement à 0,75%. La nouvelle n’avait pas surpris, ce n’était pas là qu’était attendue la banque centrale européenne : les différentes baisses de taux se sont révélées inefficaces pour calmer la crise de la zone euro. Par contre, les marchés guettaient de pied ferme ce que l’institut monétaire envisageait pour contrer la hausse des taux espagnols et italiens, qui met en péril l’euro et le système bancaire.

Les marchés pariaient sur une reprise des rachats directs des dettes européennes par la banque centrale. La semaine dernière, plusieurs informations avaient fuité laissant entendre qu’elle envisageait un autre moyen ,en venant prêter main forte au fonds européen de stabilité financière puis au mécanisme européen de stabilité, quand ce dernier serait mis en œuvre.

Espoirs en cendres

En quelques minutes, Mario Draghi a réduit en cendres toutes ces hypothèses. « La politique monétaire ne peut pas tout. C’est aux gouvernements de prendre les mesures nécessaires », a-t-il expliqué. Pour la BCE, l’aide aux gouvernements en difficulté doit passer par le fonds de stabilité financière, qui a la possibilité depuis juillet 2011 de racheter de la dette sur les marchés. Aucun pays jusqu’à présent n’en a fait la demande, a remarqué le président de la BCE. Mais cette aide, a-t-il répété, à plusieurs reprises, sera « soumise à de strictes conditions». En clair à des réformes fiscales, budgétaires, et sociales comparables aux plans de sauvetages européens classiques.

Ce n’est que dans ce cadre très strict, que la BCE « pourrait» (may) intervenir, en rachetant, aux côtés du fonds de stabilité financière, de la dette de pays en difficulté, a déclaré Mario Draghi. Mais ces interventions porteraient uniquement sur de la dette à court terme, si les rendements sont trop élevés « car ceci entre dans le cadre de la politique monétaire »,  a-t-il justifié. Ces rachats ne sont qu’une possibilité, a prévenu le président de la BCE, en insistant sur le fait que la Bundesbank avait voté contre le dispositif. Ce qui laisse planer de sérieux doutes sur la mise en œuvre future. A ce stade, a-t-il expliqué, il ne s’agit que d’un « cadre de travail, de la définition d’une philosophie ». Les modalités seront arrêtées dans plusieurs semaines. En attendant, tout le monde part en vacances.

Source : mediapart.fr