Libye, Sarkosy et argent noir
Les affaires de Takieddine avec Barclays
« Compte tenu de ses connexions politiques en France et de la nature de ses affaires, il apparaît clair qu’il doit être désigné comme une PEP (personne exposée politiquement) ». C’est ainsi que le responsable du département Moyen-Orient de la branche “gestion de fortune” de la Barclays, William Harford, présentait Ziad Takieddine, début 2009, dans un rapport confidentiel de 19 pages que révèle Mediapart.
Le document, destiné à faire entrer le marchand d’armes dans le cercle de ses clients privilégiés, avait été rédigé par la célèbre banque de Londres dans le but de lui débloquer un prêt de 13,6 millions d’euros. L’argent sera effectivement versé via des sociétés offshore et des paradis fiscaux, dès le mois de février 2009.
Le rapport interne de la Barclays du 4 février 2009, désormais entre les mains de la justice française, pourrait embarrasser la banque, déjà engluée dans le scandale du Libor outre-Manche. Le document révèle en effet la parfaite connaissance par la banque des circuits de blanchiment et d’évasion fiscale mis en place par Ziad Takieddine.
Ce dernier, au centre d’une vaste enquête visant des détournements d’argent sur les ventes d’armes du gouvernement Balladur et des financements politiques occultes, a d’ailleurs récemment été mis en examen par le juge Renaud Van Ruymbeke pour « avoir organisé, dès 1995, (son) insolvabilité en constituant un patrimoine personnel très important, faits qualifiés de blanchiment aggravé, à Londres, à Antibes, avenue Georges Mandel, à Paris, en ayant recours à des montages avec des sociétés luxembourgeoises ».
La Barclays a scruté Ziad Takieddine sous tous les angles avant de lui accorder sa confiance. Quand William Harford le rencontrait pour un entretien, le 18 novembre 2008, à Paris, le directeur londonien de l’équipe “Moyen-Orient” de la Barclays, Alfred Shukry, conduisait parallèlement ses propres investigations sur le marchand d’armes.
« Ses relations et intérêts commerciaux ont été confirmés par des tiers et des sources internes, note la Barclays dans son rapport. Alfred Shukry a également rencontré Ziad et a confirmé son standing et sa réputation sur la base d’informations fournies par ses propres contacts. »
Les connexions politiques de l’homme d’affaires franco-libanais, et particulièrement celles auprès de l’entourage de Nicolas Sarkozy, ont passionné la banque. « Les activités de Ziad découlent essentiellement de la mise en œuvre de contrats entre le gouvernement français et le Moyen-Orient, précisément le Liban et la Libye, souligne le rapport. Il connaît personnellement le chef de gouvernement Nicolas Sarkozy , et l’a introduit auprès du gouvernement libyen. »
Sans évoquer le soupçon d’un financement politique de M. Sarkozy par le régime Kadhafi, apparu au grand jour ces derniers mois, la Barclays présente toutefois Ziad Takieddine comme un pivot des relations d’État à État entre la France et la Libye. Elle se montre aussi très informée des affaires sulfureuses de Ziad Takieddine sur place.
« Ses revenus actuels découlent d’un contrat qu’il a négocié – pour la fourniture d’équipement de surveillance électronique aux fins de surveillance des e-mails et d’internet – entre les gouvernements français et libyen. Il reste à payer 5 millions d’euros sur ce contrat pour les deux ans à venir », note la banque. Le contrat et les paiements dont il est ici question, révélés par Mediapart en 2011, ont été signés par la société Amesys, absorbée par Bull, et sont aujourd’hui au centre d’une enquête pour « complicité de torture » ouverte au Palais de justice de Paris.
Au cœur de l’évasion fiscale
Parmi les documents récupérés par le juge Van Ruymbeke figurent également des éléments de comptabilité personnelle fournis début 2009 par Ziad Takieddine à la Barclays, qui font apparaître une somme de 400 000 dollars, sous l’appellation « cash-Libya ». On se souvient que l’homme d’affaires avait été arrêté à l’aéroport du Bourget, en mars 2011, de retour de Libye, porteur d’une somme de 1,5 million d’euros en espèces.
« Les contacts du client en Libye sont du plus haut niveau, poursuit le banquier William Harford dans son rapport. À l’occasion de plusieurs rencontres, Ziad a exprimé le souhait d’explorer le potentiel d’opportunités pour la banque dans ce pays (…) J’ai été très encouragé par la compréhension de Ziad de notre désir de ne pas avoir avec lui une seule relation de prêt bancaire. »
« Sa dernière et plus importante initiative a été de faciliter une transaction entre la société énergétique française Total et le gouvernement libyen pour la fourniture d’électricité au pays, signale encore la Barclays, très au fait du montage de cette opération au Luxembourg, estimée de 100 à 150 M€ ».
Le rapport du banquier Harford, qui a rejoint aujourd’hui la direction de la Khashoggi Holding, du nom du célèbre vendeur d’armes Adnan Khashoggi, s’accompagne en outre de nombreux graphiques qui détaillent la complexité du système d’évasion fiscale mis en place par Ziad Takieddine au Panama, dans les Iles Vierges britanniques ou encore au Luxembourg pour échapper à l’impôt.
W. Harford
« Comme on peut s’y attendre pour un client de la nature de Ziad, ses avoirs sont détenus par le biais de structures offshore, bien qu’il soit, lui et non un trust, le bénéficiaire direct de chacune (…) En raison de sa résidence à Paris, la structure de ses propriétés d’actifs est un peu complexe », observe la Barclays.
Cela n’empêche en rien les projets de collaboration entre la banque et le marchand d’armes, désormais visé par des enquêtes pour fraude fiscale. Au contraire, celle-ci s’adapte à merveille aux stratégies offshore de son nouveau client pour lui verser les fonds qu’il attend.
« En raison des implications juridiques et fiscales liées à la partie française de la transaction, soumise à la loi française, le prêt sera structuré en deux opérations distinctes. (…) Notre relation de prêt bancaire passera par la structure aux Iles Vierges britanniques qui détient la propriété de Londres », peut-on ainsi lire dans le rapport de la Barclays. Les fonds seront versés en deux fois : 6 M£ (7,6 M€) à Londres, puis 6M€ sur un compte à Monaco.
L’affaire sera conclue en février 2009, malgré l’opacité du système et la méfiance de Ziad Takieddine vis-à-vis de ses propres banquiers. « Il est probable que le client possède des liquidités et des avoirs au-delà de ce qu’il a déclaré, mais il est réticent à déclarer la totalité de ses actifs à une tierce partie à ce stade de la relation, note, compréhensive, la Barclays. Sa résidence en France, et le régime fiscal qui lui est associé, font qu’il est prudent quand il discute de ses revenus et avoirs imposables. »
L’argent de la Barclays perçu par Ziad Takieddine a été versé sur le compte de ses sociétés immobilières, dirigées par des hommes de paille. L’un d’entre eux, Alain France, a reconnu les faits devant les policiers, lors d’une audition, le 3 mars 2011 : « J’ai signé la demande de prêt en présence de M. Takieddine et du directeur de la Barclays (…) J’ai conscience d’avoir été le gérant de droit alors que M Takieddine étant le gérant de fait. »
Une partie de ces sommes – 4 millions de dollars – était destinée à l’achat d’un Boeing 727-200, d’une quarantaine de places, avec salle de bains et chambre à coucher, à un intermédiaire libanais. Mais la vente a été annulée. Et Ziad Takieddine a récupéré sa mise. Compte tenu des procédures judiciaires en cours, la Barclays, elle, risque fort de la perdre.
Source : http://www.mediapart.fr/journal/international/170712/libye-sarkozy-et-argent-noir-les-affaires-de-takieddine-avec-barclays