FUKUSHIMA : le dernier homme

Naoto Matsumura, 51 ans, est le dernier habitant de Tomioka, une commune proche de Fukushima, qui comptait quelque 17 000 habitants avant la catastrophe. Cet agriculteur refuse d’être évacué malgré la radioactivité.

Antonio Pagnotta, le photographe, est un habitué des zones interdites. En 1997, il s’était introduit par effraction dans l’installation nucléaire de Tokaimura, au Japon, où s’était produit un accident, après avoir escaladé un grillage sans être repéré par les gardes. Entre avril 2011 et mars 2012, il s’est introduit à plusieurs reprises dans la zone interdite de Fukushima, de manière « furtive ».

« Je suis entré à pied, de nuit, pour pouvoir travailler sans être interrompu, raconte Antonio Pagnotta. De jour, il y a pas mal de passage, deux mille travailleurs se rendent quotidiennement à la centrale, et il y a des patrouilles de police. Il y a aussi des gens qui viennent rechercher des objets dans leur ancienne maison. J’ai photographié un réfrigérateur que des habitants ont fait sortir de la zone, alors qu’il était contaminé. »

Pagnotta a observé une faune domestique à l’abandon, cochons, chiens ou chats livrés à un état sauvage. Deux mille vaches errent « en liberté » dans la zone interdite. Le photographe a vu aussi d’énormes araignées.

Il a aussi croisé le « dernier habitant » de la zone interdite. Naoto Matsumura, 54 ans, était agriculteur à Tomyoka, ville abandonnée de la préfecture de Fukushima, qui avait plus de 15 000 habitants avant la catastrophe. Matsumura a refusé d’évacuer la zone pour des raisons d’honneur et continue à défier le groupe Tepco, le géant de l’industrie nucléaire et opérateur de la centrale accidentée. Depuis, il entretient les tombes et s’occupe des animaux d’élevage qui n’ont pas été abattus.

  • VIDEO ICI : http://www.dailymotion.com/video/xs5gd7_le-dernier-homme-de-fukushima-entretien-avec-le-photoreporter-antonio-pagnotta_news?search_algo=1

Antonio Pagnotta a exploré un territoire d’où la vie s’était enfuie, un paysage de « douce apocalypse », selon ses termes. Ses photos évoquent d’ailleurs la science-fiction dite post-apocalyptique, qui décrit la planète après une catastrophe ayant détruit la civilisation humaine, telle qu’une guère nucléaire, une épidémie mondiale ou un choc avec une météorite.

Sauf que ce n’est pas de la science-fiction. Les photos du supermarché de Tomyoka seraient tout à fait à leur place dans Je suis une légende ou dans un épisode inédit de Terminator.

« Elles n’ont pas été vues au Japon, elles n’ont pas intéressé les médias, dit Pagnotta. Je crois que les gens préfèrent ne pas savoir. »

L’autruche, mascotte de Tepco

Par une coïncidence ironique, Tepco, l’exploitant de la centrale de Fukushima, avait choisi l’autruche comme mascotte… Aujourd’hui, une autruche s’est invitée dans la maison de Matsumura, le dernier habitant de la zone interdite. A l’extérieur, la vie continue, avec une apparence de normalité, même dans des zones où le niveau de radioactivité est beaucoup plus élevé que la normale, comme à Iitate. La décontamination tient du bricolage, les déchets sont entreposés dans des écoles et des lieux fréquentés. La contamination ne s’arrête pas. Et les radiations font leurs effets.

Cette autruche, baptisée Boss, est l’unique survivante de la ferme d’autruches de Okumacho. Naoto Matsumura la nourrit avec des aliments pour animaux.

Matsumura refuse d’abandonner les animaux qui ont survécu à une agonie certaine. Chaque matin, il va de maison en maison pour nourrir les chats et les chiens restés sur place parce que trop sauvages pour être capturés ou trop agressifs pour être emmenés dans les refuges. Il nourrit aussi ses sangliers et ses cochons qui cohabitent avec une bande de chats.

Pour rappel, après un arrêt complet des 54 réacteurs nucléaires du pays, l’un d’entre eux a redémarré, à Oi, sur la côte ouest, loin de la zone interdite…

« Le pouvoir japonais est dans une attitude de déni, dit Pagnotta. On limite les dégâts économiques, et on sacrifie la sécurité et la santé des citoyens. On ne cherche pas à connaître l’état de santé réel des populations. On construit l’ignorance. Je crains que tout cela ne conduise à une immense catastrophe sanitaire. Je vois le Japon comme un immense abattoir. »