On les voit fleurir un peu partout, elles représentent une vraie révolution dans notre relation au sol et notre façon de cultiver. Symboles par excellence de l’agroécologie mais surtout de la permaculture (avec la poule), elles n’en sont pourtant qu’un élément parmi d’autres. Elles représentent l’antithèse du jardin à la papa : un espace riche et vivant, résistant à la sécheresse, à l’excès de pluie, un espace multidimensionnel extrêmement productif qui peut même être auto-fertile. L’observation et l’imitation de la Nature nous ouvre de nouvelles portes délivrées du travail du sol, des intrants chimiques et du pétrole, pour une agriculture non plate, non linéaire, vivante et qui crée de la fertilité. Explications.

C’est Emilia Hazelipp qui semble avoir importé la culture sur butte en France. S’inspirant des travaux de Fukuoka (et oui, encore lui) et de Marc Bonfils, elle a créée ce qu’elle appelle les jardins « synergétiques » : sous forme de buttes, sans travail du sol, systématiquement recouvert de paille, des « chemins de culture » aux formes rondes et serpentiformes ou gambades joyeusement une armée de canards coureurs se délectant des limaces.

Mais quels sont les avantages de cette culture étrange qui demande pourtant un gros travail de mise en place?

  • tout d’abord, elle évite de se baisser. Quel jardinier ne s’est pas plaint que la terre était basse? La hauteur varie suivant les climats, les besoins, les cultures, la hauteur de la personne qui aura a se baisser. On peut aussi rajouter des bordures en bois qui tiendront la butte dans le temps.
  • Le paillage systématique, fondamental, permet de :

– limiter l’enherbement,

– limiter l’évaporation de l’eau et donc de presque supprimer l’arrosage (hors plantation bien sûr),

– fournir régulièrement tout au long de l’année la fertilité à la butte par humification (décomposition par la faune du sol) de la couche de mulch,

– protéger cette fameuse microfaune et son cortège de bactéries, champignons et autres arthropodes du gel, du soleil, du dessèchement et de l’érosion. La terre reste humide et meuble.

  • Le non travail du sol. Cette capacité alléchante est permise justement par le paillage et la présence forte de la multitude silencieuse, ces jardiniers de l’ombre qui humifient (humidifient aussi d’ailleurs), brassent, mélangent, complexifient et transforment les différents horizons du sol. Ces derniers ne sont jamais dérangés par un quelconque bêchage, même superficiel, et le processus complexe et vital d’aggradation (le contraire de dégradation : accumulation de nutriments et d’éléments) peut se dérouler jusqu’au bout.
  • La multiplication de microclimats. Suivant l’orientation de la butte (N/S, E/O) on aura des versants plus secs, humides, ombragés, ensoleillés, exposés aux vents dominants, chauds, froids, ce qui permettra d’ajuster au mieux les plantes suivants leurs exigences. De plus le microclimat en sommet et bas de la butte ne sera pas le même. On privilégiera par exemple des plantes grandes et exigeantes en sommet (maïs, courgettes) ou plutôt des plantes frugales en milieu et bas de pentes (oignons, fraises).
  • L’augmentation de la surface de culture. On passe du 2D à la 3D : la surélévation de notre surface de culture multiplie la surface de plantation. On peut se permettre une grande diversité de végétaux par m² et donc multiplier par là même les associations, rotations, engrais-verts, … et les rendements. Un exemple d’agriculture dite « bio-intensive ».

La butte autofertile dite « Butte Morez »

Robert Morez, ingénieur agronome est un ancien du CIEPAD (Carrefour international d’échanges de pratiques appliquées au développement), et un pionnier de l’agroécologie. Il a notamment beaucoup travaillé à l’internationale avec Pierre Rabhi. J’ai eu la chance d’être son étudiant à Terre et Humanisme l’été dernier sur le thème des buttes autofertiles.

crédits Robert Morez, cliquez sur l’image pour l’agrandir

Le principe vient de la vitesse de décomposition  et de la nature des éléments produits lors de la décomposition de différentes couches. Il en résulte un effet « starter » assez impressionnant ainsi qu’une fertilité très importante pendant plusieurs années, due à la dégradation des éléments plus grossiers. Elle peut durer jusqu’à 4 ans.

On veillera au départ a installer plutôt des plantes exigeantes (solanacées, courges) pour optimiser les premiers temps d’hyper-fertilité! En voici la recette :

  1. Creuser une tranchée à 35 cm. Réserver la terre propre.
  2. Placer au fond des branches coupées à 30 cm, ronces, lianes… ranger et tasser ; le broyat forestier (BRF) facilite le travail.
  3. Etendre des feuilles sèches ou vertes (paille, foin). Tasser et arroser copieusement.
  4. Ajouter une couche de fumier ou compost (bouses, fientes) ; ne plus tasser, arroser.
  5. Couvrir avec la terre extraite ; aplanir et établir des passages (30 cm tous les mètres) en étalant de la paille, écorces ou planches, pour circuler sans tasser le sol.
  6. Le sol est alors prêt pour les plantations et semis
  7. L’arrosage s’effectue dans les « entonnoirs » en plus de l’aspersion, goutte à goutte et capillaires…

Et ne pas oublier le sel : entre chaque couche, saupoudrer un peu de cendres ou de terres (matières minérales, poudre d’os, …)

Résultat : une forte économie d’eau, une forte production. Le sol retrouve son niveau original après quelques mois (voire années).

La réalisation d’une butte autofertile le long des courbes de niveau en direct de chez moi, et tout ça en 51 secondes :