Ils réussissent : Zumra Nuru et son socialisme utopique

L’âge de faire a pu rencontrer Zumra Nuru à l’occasion de sa venue en France. Cet Ethiopien de 67 ans a créé, dans les années 70, sur des règles de partage et de respect, une communauté dont la réussite semble incontestable.

Lorsque Zumra Nuru explique sa façon de voir le monde, on est d’abord marqué par la déconcertante simplicité de son discours. Mais si ses réponses sonnent souvent comme des évidences, ses idées n’ont pourtant rien de futile : elles lui ont permis de fonder, en 1972, la communauté Awra Amba. Quarante-quatre ans plus tard, celle-ci regroupe près de cinq cents personnes qui y vivent « en harmonie », en étant mieux éduquées, mieux nourries, et en bénéficiant de meilleures conditions de vie qu’autrefois.

A 67 ans, Zumra Nuru est sorti pour la première fois d’Ethiopie au début du mois d’avril pour passer dix jours en France. C’est Robert Joumard, universitaire et membre d’Attac, qui a organisé ce séjour, parce qu’il considère qu’Awra Amba est l’un des rares exemples au monde de « socialisme utopique ».
Le fondateur et leader de la communauté a ainsi pu nous parler de son parcours hors du commun.Sa réflexion a débuté très tôt – dès l’âge de 4 ans, selon lui – en observant la condition féminine dans la société traditionnelle éthiopienne :

 Je voyais ma mère qui, comme mon père, travaillait au champ. Mais quand ce travail était fini, lui se reposait, alors qu’elle devait encore faire à manger, le ménage et s’occuper des enfants. Ce n’était pas normal.Zumra Nuru

Son analyse est alors loin d’être partagée par les hommes de sa région, qui le rejettent, lui et ses idées. Cette hostilité, néanmoins, n’affaiblit pas la force de ses convictions, ni son désir de faire évoluer les mentalités.

Tout le monde aime sa mère, mais les hommes traitaient leurs femmes comme s’ils en étaient propriétaires. Je leur expliquais donc qu’ils devaient aimer toutes les femmes comme leur propre mère.Zumra Nuru

Dès son plus jeune âge, Zumra Nuru a été frappé par les inégalités entre les hommes et les femmes. @ADF

« Je ne savais ni lire ni écrire »

Son rêve d’harmonie l’entraîne vers d’autres réflexions, comme celui des religions. Dans cette région, musulmans et orthodoxes éthiopiens vivent, au mieux, chacun dans leur coin, quand cette cohabitation ne vire pas à l’affrontement. Pour Zumra Nuru, « il n’y a qu’un Créateur. On est d’accord là-dessus, alors à quoi ça sert de lui donner un nom ? Ça ne peut que diviser les hommes. Personne ne sait s’il y a un paradis après la mort, donc notre rôle est de créer le paradis ici, sur terre, en vivant en paix. »Lorsqu’il n’est encore qu’un enfant, il se jure de changer les choses une fois qu’il sera adulte. Comment ? En se lançant dans la politique ? Non. « La question ne s’est même pas posée. J’étais tellement jeune, et puis, j’étais fermier, je ne savais ni lire ni écrire. » A même pas 20 ans, il se met donc en quête d’un village qui accepterait ses idées. Il s’établit finalement à Awra Amba, dans la région d’Amhara, au Nord Ouest du pays. Zumra Nuru et une soixantaine de compagnons y appliquent les règles qu’ils ont élaborées : pas de religion, pas de mariages forcés ni d’excision, une solidarité entre tous les habitants qui s’applique « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins »… Le système doit réunir les conditions du paradis terrestre vers lequel ils tendent.Mais ces préceptes sont loin de faire l’unanimité : les traditionalistes rejettent la communauté et finissent par en chasser les membres. Poussés à l’exil, Zumra Nuru et dix-huit compagnons, néanmoins, n’abandonnent pas leur rêve et se mettent à la recherche d’une nouvelle terre. Après un long périple, ils reviennent, six ans plus tard, à Awra Amba où, grâce à la pression des médias et des ONG, ils obtiennent une vingtaine d’hectares pour s’établir. C’est ainsi que renaît la communauté au milieu des années 90. Aujourd’hui, après vingt années de fonctionnement continu, un constat s’impose : la petite société fonctionne.

« Les regards ont changé »

Les habitants, qui cultivent essentiellement le maïs, le tef et les haricots secs, obtiennent des rendements supérieurs au reste de la région. Ils élèvent des zébus, des poules, et quelques moutons. Compte tenu du peu de terre dont ils disposent, ils ont diversifié leur activité : femmes et hommes pratiquent le tissage – ailleurs, cette pratique est strictement réservée à la gent masculine. Ici, les hommes vont chercher l’eau au puits et peuvent s’occuper des enfants – des tâches traditionnellement réservées aux femmes. Et si l’harmonie règne toujours au sein de Awra Amba, elle commence aussi à s’étendre aux villages alentour : grâce à des rencontres organisées de façon régulière, et parce qu’ils ne peuvent que constater les bénéfices de ce mode de vie, les autres villages de la région n’affichent plus la même défiance à son égard. C’est l’une des fiertés de Zumra Nuru : « Avant, on me prenait pour un fou, mais, aujourd’hui, je vois que les regards ont changé. »Les jeunes issus de la communauté affichent pour leur part une surprenante réussite scolaire. Dans la région, les enfants, envoyés très tôt aux champs, doivent abandonner leurs études. Ce n’est pas le cas à Awra Amba, où filles et garçons ont trois devoirs : aller à l’école, aider un peu la communauté (« une façon de les responsabiliser », explique Zumra Nuru), et… jouer.

Gebeyehu Desaleu est de ces enfants qui ont grandi à Awra Amba. Après des études supérieures en économie, il pourrait aujourd’hui, nous explique-t-il, « travailler pour le gouvernement et gagner beaucoup d’argent ». Il a pourtant choisi de revenir vivre au sein de la communauté. « C’est une façon, pour les jeunes comme moi, de rendre à la communauté tout ce qu’elle nous a donné. Les anciens comme Zumra se sont sacrifiés pour que nous puissions avoir une vie meilleure. Maintenant, c’est à notre tour de faire évoluer la communauté. » Créée par dix-neuf fermiers illettrés, Awra Amba compte, vingt ans plus tard, quarante-huit diplômés universitaires.

Nicolas Bérard

www.awraamba.com Les réalisateurs proposent de participer au financement de ce documentaire qui est encore en cours de finalisation et dont une version française devrait être proposée.

Ce papier es tà lire dans son intégralité dans le journal #Lagedefaire de mai 2014.

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