Propagande : Le régime sans gluten serait « dangereux »

Dans l’actualité de la nutrition sur le web, un nouvel article vient de paraître dans « Le Plus » du Nouvel Observateur à propos du fameux régime sans gluten, si décrié ces derniers temps.
L’article est une contribution d’un médecin nutritionniste, M. Hervé Robert, « expert » selon la rédaction du journal français.

L’article, avec son titre très révélateur « Le régime sans gluten, dangereux ? Il n’est pas meilleur pour la santé, au contraire »… n’est pas tendre avec le régime sans gluten. Le sous-titre de l’article l’indique très clairement : le régime sans gluten serait pire pour la santé, si j’en crois bien mes mirettes, et j’ai 10/10 à mes deux yeux ! Avant de commencer la critique de cet article, et un long voyage dans les méandres des conflits d’intérêts, en passant par les approximations scientifiques et nutritionnelles, je dois remercier Sylvain du blog « Clair et Lipide » de m’avoir averti de la parution de cet article. Alors ne faites pas les timides, et allez donc lire son dernier billet sur le régime paléo pour vous faire une idée !

Ok. Revenons à nos moutons.

Une étude accable tous les « sans gluten » !

A l’origine de l’article paru dans le Nouvel Obs., une étude scientifique publiée dans le supplément juillet-août du Journal of Nutrition and Behavior (JNEB). Le Nouvel Obs. n’est pas le seul dans cette situation. Le site web « Pourquoi docteur » publie également sur ce sujet : « Le régime sans gluten n’est pas sans danger ».

« Au Féminin.com » y va de sa patte également, avec une conclusion pour le moins détonante :

« le régime sans gluten ne serait qu’un « effet de mode » doublé d’un « faux régime » . »

Tous ces articles citent les travaux du Dr Karla Shelnutt qui aurait prouvé les dangers d’une telle diète (les articles anglophones pleuvent également sur ce sujet!) D’ailleurs, c’est bien la toute première phrase de notre article du Nouvel Obs. :

« Suivre un régime sans gluten serait mauvais pour la santé. C’est ce que montre une étude relayée par le Journal of Nutrition Education Behaviour ».

Le fameux JNEB me direz-vous. Avant de vous faire découvrir le pot aux roses concernant cette étude, voici mon enquête sur la qualité et l’indépendance de ce journal.

Là aussi, les masques tombent rapidement (surtout lorsque l’on sait chercher, n’est-ce pas M. Grossbouff ? Je taquine!)

Le JNEB : pas le journal du siècle !

Tout d’abord, au niveau de la qualité du journal et donc de son classement : on ne peut pas vraiment dire que ce soit le meilleur de son genre.

Dans le classement officiel des journaux scientifiques de la catégorie « Nutrition and Dietetics », le JNEB n’est que dans le deuxième quartile, classé 49ème sur 114. Il existe donc, dans ce domaine, 48 meilleurs journaux dont 29 dans le premier quartile, qui impose plus de respect (bien que la classement ne doive pas être le seul à être pris en compte).

Justement, d’autres critères doivent être pris en compte, notamment l’indépendance du comité éditorial et donc la neutralité de sa ligne éditoriale. Ce point est extrêmement important car un journal sous l’emprise de firmes privées aura tendance à publier plus facilement des articles biaisés, falsifiés ou de mauvaises qualités, tant qu’ils proviennent des sponsors.

Sur la page de présentation du journal, nous apprenons qu’il est détenu par la Society for Nutrition Education and Behavior (SNEB), une association, comme c’est souvent le cas. Donc, sur le site officiel de la SNEB, et sur la page de présentation des comités avec leurs leaders, nous découvrons l’ensemble du staff de cette association.

Je ne peux pas réaliser une enquête approfondie sur tout le monde (il y a en plus de 20), mais une recherche rapide sur le « big boss » va illustrer à merveille de quoi il en retourne. Kendra Kattleman, Président en exercice de cette association, a participé en avril 2014 à la grande conférence intitulée « Créer des vies et des communautés en bonne santé », comme je le découvre sur le net après un rapide recherche.

Cette conférence ressemble selon moi à toutes les autres : des professionnels viennent parler de nutrition et de santé, avec de réelles bonnes intentions, mais les industriels sont là, et veillent au grain, grâce à leur leur compte en banque j’imagine.
Ainsi, nous ne serons pas surpris d’apprendre que la plupart des conférences, dites « Keynote », ont été sponsorisées par l’industrie laitières américaines, par les producteurs de légumineuses, par les éleveurs de bœufs et les producteurs de blé du Dakota du Nord. Rien que ça. Cet exemple est là pour vous montrer que :

– Je prends le premier nom, et comble du hasard, notre président est un familier des conférences sponsorisées par les grands industriels de l’agroalimentaire.
– Si je « m’amusais » avec toute la liste, il y aurait fort à parier que j’en trouverais d’autres, beaucoup d’autres !

Mais ce n’est pas tout, ce n’est pas le pire.

La SNEB semble fière de nous présenter ses membres privilégiés. Et d’ailleurs moi aussi… J’ai donc le plaisir de vous informer que la SNEB, propriétaire du JNEB, éditeur de notre fameuse étude pro-gluten, est composée des membres suivants :

– L’Alliance pour l’éducation et la recherche sur la patate (oui, je vous le promets) ;
– L’Association des raffineurs de maïs ;
– Les laitiers de Californie ;
– La Fondation des céréales ;
– Le Conseil national des produits laitiers ;
– Et le Comité de conseil des producteurs de blé.

Je ne pousserai pas plus loin l’analyse de ce journal et de cette société, mais comprenez bien que leur indépendance doit être fortement mise à mal, et que personnellement, je ne ferais pas confiance à un tel journal. Maintenant que la qualité du journal a été sérieusement entachée, on va passer au plat de résistance, l’étude en question dans l’article du Nouvel Obs…

L’étude qui n’en était pas vraiment une !

Elle est citée dans tous les articles du web, alors que très peu de personnes sont réellement allées voir de quoi il en retourne, je présume. J’ai trouvé ladite « étude » sur le JNEB, que je mets entre guillemets car elle n’a en réalité pas été publiée officiellement, ni dans sa version complète.

En fait, et c’est un peu technique, les travaux de cette équipe de l’Université de Floride, ont été seulement présentés lors d’un congrès, et probablement publiés dans les « Proceedings », un pseudo-article en quelque sorte. Donc , les journalistes font tout un foin des résultats d’une pseudo-étude, qui n’a même pas encore été publiée dans le JNEB.

Ce qui signifie que l’on ignore les protocoles exacts utilisés pour mener à bien cette étude, comme les références sur lesquelles elle s’appuie, bref : tout.
C’est déjà un très mauvais point. Mais croyez-moi : ce qui arrive n’est pas mieux!

En fait, pour l’étude en question, les auteurs se sont simplement proposé de faire goûter des produits identiques (chips et cookies) à 97 étudiants du campus, divisés en deux lots : avec ou sans la mention sans gluten. Ensuite, les étudiants étaient invités à noter les produits selon plusieurs critères et à répondre à des questions plus complexes sur les effets du gluten sur la santé.

Voici ce que disent réellement les résultats :

– 57% des étudiants sont d’accord sur le fait que le régime sans gluten est utilisé pour soigner des pathologies.
– 32% pensent qu’il est prescrit pour la perte de poids ;
– 31% pensent que le régime sans gluten améliore la santé générale ;
– 35% pensent que ce régime améliore le transit et la digestion ;
– 32% estiment que le régime sans gluten améliore l’alimentation ;
– 21% qu’il améliore la qualité de la peau ;
– et finalement, 37% sont d’accord sur le fait que les produits sans gluten sont meilleurs que leurs homologues contenant du gluten.

Comprenez bien ces résultats :

– A aucun moment les chercheurs n’ont fait d’essai clinique, pour comparer des groupes qui mangent ou non du gluten.
– A aucun moment les chercheurs n’ont réalisés une méta-analyse pour comprendre l’impact du gluten sur la santé.
– Non. Les chercheurs ont simplement posé des questions, à 97 étudiants, en se permettant d’émettre des hypothèses sur la dégradation de l’état de santé avec les réponses obtenues.

Comment dire… Tout d’abord, 97 étudiants du campus de l’Université de Floride ne seront jamais représentatifs de la population américaine moyenne. Et encore moins de celle de l’Europe ! Nous ignorons même comment sont constitué les groupes d’étudiants ! Plus de femmes d’un côté ? Quel niveau d’étude ? Des adeptes de régimes peut-être ?

Bref, cette « étude » est en réalité un vide… sidéral. Les auteurs concluent, complètement à tort car étant dans l’impossibilité de le prouver, que les consommateurs (nos 97 étudiants !) ont des avis non fondés sur le caractère sain et le potentiel impact positif d’un régime sans gluten sur la santé.

Pour résumer: ce n’est pas un hasard si cette publication sera bientôt publiée dans ce journal (le JNEB), étant donné le niveau de l’étude et celui du journal. L’article du Nouvel Obs., citant explicitement l’étude qui aurait démontré le côté dangereux d’un régime sans gluten, est donc totalement faux. (Petite parenthèse, mais c’est exactement ce qu’on fait des cardiologues français pour faire prescrire des statines, à tort et à travers !)

Je dirais que cela est presque malhonnête, et franchement, la suite de cet article ne va pas me faire mentir. Oui, il y a du pire à venir !

M. Hervé Robert : pas le médecin nutritionniste du siècle

C’est donc le médecin nutritionniste M. Hervé Robert qui descend le régime sans gluten dans cet article du Nouvel Obs… Je ne m’attaquerai pas aux qualifications de M. Robert, qui doivent être forcément excellentes, mais en revanche, je n’aime pas trop cette proximité cachée avec l’industrie du pain et des céréales.

Quoi ? Qu’est-ce qu’il dit ? Eh oui, après une très mauvaise étude sans fondement, assortie d’un journal de mauvaise qualité, détenue par une association gangrénée par l’industrie du pain, voici que M. Robert flirte avec l’Observatoire du Pain, une vitrine de l’industrie meunière pour valoriser les produits de boulangerie.

Ainsi, vous apprendrez (sans étonnement aucun !) que M. Robert a participé à la rédaction de plusieurs lettres d’informations de l’Observatoire du Pain. Au mois de septembre 2007 ; de juin 2008 ; de mai 2009 ; et de septembre 2012 ! M. Robert apparait également dans une brochure émise par l’Observatoire du Pain sur la composition nutritionnelle des pains français, où il est expressément remercié !

Toujours en collaboration avec les boulangers et les meuniers, M. Robert a également participé à la création de la première brochure en 2006 « Pain et nutrition » de plus de 80 pages. Et la liste est encore longue !

Dans la première édition du magazine de la vitrine de l’industrie du pain, M. Robert est même interviewé. Il se définit comme travaillant « à réintroduire le pain dans l’alimentation des français ». Un message en parfaite adéquation avec celui de l’Observatoire du Pain. Le médecin nutritionniste, qui collabore décidément beaucoup avec l’Observatoire, nous confirme également « que chacun peut choisir en fonction de ses goûts parmi la diversité des pains : le bon pain est un pain plaisir ! »

Sensationnel, dérangeant ou honteux. A vous de choisir.

Dans la fin de l’interview, M. Robert conseille aux hommes de manger une baguette par jour, oui: une baguette par jour, et les ¾ d’une baguette pour les femmes. Je dénonçais il y a quelques temps maintenant, une endocrinologue, travaillant également pour l’Observatoire du Pain, qui faisais les mêmes recommandations (bien évidemment dénuées de sens).

(D’ailleurs, je me rends compte avec le recul que M. Hervé Robert apparait sur l’image floutée de mon article… Si c’est pas fun !)

Bref. M. Robert ne s’est pas arrêté pas en si bon chemin, puisqu’il a été interviewé dans le second magazine de l’Observatoire du Pain, et cette fois-ci en tant que médecin conseil de l’Observatoire du Pain. Dans ce magazine, notre médecin nous parle des préjugés sur le gluten, et le défend bec et ongles.

Nous apprenons notamment que l’Observatoire du Pain va organiser un colloque afin de mieux informer les consommateurs sur le gluten. M. Robert, questionné à ce propos, nous indique que « c’est une très bonne idée ». Ok. Toujours selon le médecin, « c’est également important pour les gens en bonne santé qui suivent sans raison un régime sans gluten; car le fait de se priver de pain, de pâtes et de nombreux produits à base de céréales peut les conduire à des déficits : le pain notamment apporte une part importante des besoins quotidiens en glucides complexes, en fibres et en certaines vitamines. »

On retrouve sans surprise le même discours que dans celui de l’article du Nouvel Obs., à savoir que l’arrêt du gluten entraînerait des déficits. Pour terminer, M. Robert pense que ce type de colloque, organisé par l’industrie du pain en personne, avec un message forcément orienté et non indépendant, est « non seulement souhaitable, mais indispensable. »

Il m’achève, et vous avec.

Mais comment le Nouvel Observateur a-t-il pu choisir et laisser s’exprimer un médecin nutritionniste avec autant de liens d’intérêts sur ce sujet ? Plus grave encore : pourquoi le Nouvel Obs. n’a-t’ il pas déclaré les conflits d’intérêts du Dr Hervé Robert ?

On peut se poser la question, car d’après la loi en vigueur, et surtout grâce à l’article L. 4114-13 du code de la santé publique, cela est obligatoire. Ainsi selon l’article L. 4114-13 :

« Les membres des professions médicales qui ont des liens avec des entreprises et établissements produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits sont tenus de les faire connaître au public lorsqu’ils s’expriment lors d’une manifestation publique ou dans la presse écrite ou audiovisuelle sur de tels produits. »

Dans notre situation, nous avons un professionnel de la santé, M. Robert, qui s’exprime publiquement dans la presse écrite électronique, sur les produits contenant du gluten, donc le pain, les pâtes, etc. Or, M. Robert entretien des liens notoires, publiques et de très longues dates avec l’Observatoire du Pain (depuis 2006, année de sa création…) fondé par « les meuniers et boulangers » eux mêmes (autrement dit l’industrie du pain). Nous sommes donc, selon moi, clairement sous le coup de la loi.

M. Robert possède des liens avec « un organisme de conseil », l’Observatoire du Pain, directement créé par l’industrie du pain, et intervient en même temps en public pour valoriser ses produits à la consommation. L’article du Nouvel Observateur publié le 8 août 2014 aurait dû préciser l’ensemble de ces liens d’intérêts.

J’ai personnellement alerté l’association « Formindep » qui milite pour la déclaration systématique des liens d’intérêts et tente de faire respecter le code de la santé publique. Le Formindep réalise aussi des enquêtes alléchantes, et peut même aller jusqu’au tribunal avec certains professionnels. Vous devez savoir que la recherche que j’ai réalisée sur M. Robert, un étudiant en première année de Licence aurait pu la faire, un jeune médecin également…

Mais alors que dire d’une équipe de journalistes professionnels comme celle du Nouvel Obs. ? On mettra cela sur le coup de l’étourderie. Pour résumer cette première partie, nous avons :

– Une étude, non publiée officiellement, dans un journal de qualité moyenne, plutôt copains-copains avec l’industrie du pain (et donc du gluten), et citée à tort pour expliquer le rôle néfaste du régime sans gluten sur la santé.
– Également, un expert, médecin nutritionniste, engagé par l’Observatoire du Pain, la vitrine française de l’industrie meunière et boulangère pour valoriser la consommation de ces produits, qui attaque le régime sans gluten, et redore le blason de la baguette traditionnelle.

Pardonnez-moi cette petite digression, mais je suis tombé par hasard sur des ouvrages de M. Robert sur le chocolat, dans lesquels il valorise sa consommation. J’apprends par la suite que notre cher médecin nutritionniste est un élu de l’Académie française du chocolat et de la confiserie, une institution créée par les confiseurs et les chocolatiers.

Jérémy Anso
Suite de l’article sur :
http://fr.sott.net/article/23018-Propagande-selon-le-Nouvel-Obs-le-regime-sans-gluten-est-dangereux
http://www.biolineaires.com/articles/nutrition/303-alimentation-sans-gluten.html