Les étranges objets des cabinets de curiosité

Est-ce que vous avez déjà visité un cabinet de curiosités ? Apparus en Europe vers la fin du XVIème siècle, les cabinets de curiosité étaient des endroits étranges dans lesquels on regroupait des objets de toutes sortes : antiquités, œuvres d’art, animaux empaillés, mais surtout des bizarreries allant de la relique ensorcelée au squelette de créature mythique. Tout était permis pour émerveiller les gens de la bonne société. A mi-chemin entre la science et le fantastique, les cabinets de curiosités ont progressivement été remplacés par les musées, mais encore aujourd’hui, leur esthétique inspire collectionneurs et artistes. Dans cet épisode, j’ai réuni quelques objets très particuliers pour vous présenter une sorte de cabinet de curiosités virtuel. Je vous souhaite une bonne visite.

L’échelle inamovible

Notre première curiosité est une échelle. Une simple échelle de bois posée contre la façade de l’Eglise du Saint Sépulcre, à Jérusalem. Cette église est considérée comme le lieu le plus saint du christianisme car elle englobe à la fois le Golgotha, c’est-à-dire le lieu de la crucifixion, ainsi que le Saint Sépulcre, qui est un tombeau construit à l’endroit où Jésus aurait été déposé après sa mort. Ce site, qui accueille des millions de pèlerins chaque année, est géré par plusieurs communautés chrétiennes de confessions différentes. Il y a les catholiques, les coptes, les arméniens apostoliques, et les orthodoxes grecs, syriaques, et éthiopiens. Tout ce petit monde est censé vivre dans la paix et l’amour d’un seul et même Dieu, mais dans les faits, la cohabitation est plutôt tendue. Il n’est pas rare de voir des moines en venir aux mains, et lors d’une baston générale en 2002, 11 personnes ont fini à l’hôpital pour une histoire de chaise déplacée. Car depuis 1852, la gestion des lieux est soumise à un status quo, un ensemble de règles strictes qui stipulent notamment qu’aucune propriété commune ne peut être déplacée ou modifiée sans l’accord des 6 groupes. Et c’est ici qu’on retrouve l’échelle : au 19ème siècle, quelqu’un l’a posée sous une fenêtre de l’église, et personne ne sait de quelle communauté il faisait partie. Pour éviter tout conflit, et pour s’assurer qu’aucun groupe ne ferait le travail revenant à un autre, personne n’a rangé l’échelle. A l’heure actuelle, elle est toujours au même endroit, dans la même position, depuis environ 2 siècles. Devenue un objet quasi sacré, l’échelle inamovible est aujourd’hui un véritable symbole des divisions religieuses.

L’épée dans la pierre

Vous connaissez tous la légende de l’épée que le roi Arthur arracha du rocher, mais est-ce que vous saviez qu’une épée dans la pierre existe pour de vrai ? On dit qu’au 12ème siècle, un chevalier nommé Galgano Guidotti se retira de la chevalerie pour vivre en ermite près de Chiusdino en Italie. Il abandonna les armes pour se consacrer à la prière, et en guise de croix, il planta son épée dans un rocher, au sommet d’une colline. Quelques années après sa mort, il fut canonisé par le Pape Lucius III, et une chapelle fut construite autour de l’épée. Cette chapelle se nomme Saint Galgano de Montesiepi, et on peut toujours y voir la relique profondément enfoncée dans la roche. On y trouve également les mains momifiées d’un homme qui, d’après la légende, aurait essayé de retirer la lame. Pendant de nombreuses années, l’épée de Saint Galgano fut considérée comme fausse, mais une analyse récente de l’université de Pavie à confirmé qu’elle datait bien du 12ème siècle. Elle serait donc contemporaine du mythe arthurien de l’épée dans la roche, et certains pensent qu’elle en est à l’origine. Quoi qu’il en soit, si vous voulez tenter votre chance, sachez que l’épée est aujourd’hui protégée par un dôme de plexiglas.

La statue de Masakichi

Vers la fin du 19ème siècle, l’artiste japonais Hanamuna Masakichi apprend qu’il a la tuberculose. Persuadé qu’il lui reste peu de temps à vivre, il décide de sculpter une réplique parfaite de lui-même pour l’offrir à la femme qu’il aime. Masakichi va alors créer la statue en bois la plus réaliste de l’histoire, faite de plus de 2000 pièces de bois séparées, assemblées les unes aux autres sans jointure visible. Travaillant dans une pièce remplie de miroirs, il reproduit à l’identique chaque tendon, chaque muscle, chaque veine, et il fabrique même des yeux de verre d’un réalisme troublant. Pour pousser la ressemblance encore plus loin, Masakichi va jusqu’à implanter ses propres poils et ses propres cheveux sur la statue, un par un. Quand il posera a côté de son chef d’œuvre lors d’exhibitions privées, les visiteurs auront du mal à distinguer l’artiste de la copie. En 1934, quarante ans après la mort de Masakichi, la statue est achetée par Robert Ripley, un entrepreneur passionné de curiosités qui vient d’ouvrir son premier musée à Chicago. Ripley considère alors la statue comme la pièce maîtresse de sa collection. Aujourd’hui, des dizaines de musées Ripley existent à travers le monde, et bien qu’il ait été abîmé lors d’un tremblement de terre, le double de Masakichi reste une des attractions les plus impressionnantes de ces cabinets de curiosité modernes.

Le carillon éléctrique d’Oxford

Dans un laboratoire de l’université d’Oxford, il y a un carillon qui sonne depuis presque 2 siècles. Il s’agit de la plus ancienne expérience scientifique en cours. Installée au laboratoire Clarendon depuis 1840, le carillon éléctrique d’Oxford se compose de deux cloches en laiton surmontées de deux grosses piles. Suspendue entre les piles, une petite bille de métal cogne contre les cloches. A chaque fois qu’elle en touche une, elle prend une petite charge électrique de la pile correspondante, et elle est repoussée vers l’autre cloche, qui la repousse à son tour. Ce mouvement continu réclame une très petite source d’énergie, et jusqu’à présent, on estime que les cloches ont été sonnées plus de 10 milliards de fois. Le plus intriguant dans cette expérience, c’est que personne ne sait de quoi sont faites les piles. On pense qu’il s’agit de piles Zamboni, une des premières piles électriques de l’histoire qui était constituée de zinc, de métal et de papier. Mais comme les piles du carillon sont protégées par une gaine de souffre fondu, leur composition exacte reste un mystère. Pour en savoir plus, il faudra attendre que le carillon s’arrête, et on ne sait pas du tout le temps que ça prendra. Car bien qu’il soit protégé par une cloche de verre et qu’on l’entende à peine, le carillon d’Oxford sonne encore, et encore, et encore.

Les cercueils d’Arthur’s Seat

En 1836, alors qu’ils chassent des lapins près de la colline Arthur’s seat en Ecosse, un groupe d’enfants découvre 17 cercueils miniatures enterrés dans une grotte. Les cercueils mesurent environ 10 cm de long pour 3 cm de large, et ils contiennent tous un petit corps en bois sculpté. Chacune de ces figurines est habillée avec des vêtements différents, faits à la main. Les cercueils sont disposés d’une façon bien particulière, deux rangées de 8, surmontées d’un cercueil solitaire. Ca fait presque 180 ans maintenant, et on ne sait toujours pas qui a fait ces cercueils, ni pourquoi, et encore moins pour quelle raison ils étaient enterrés de cette façon. A l’époque de la découverte, plusieurs hypothèses ont été avancées : ces figurines ont pu être utilisées pour des rituels de sorcellerie, ou bien pour honorer la mémoire de marins perdus en mer. Mais la théorie la plus populaire est celle de l’enterrement symbolique pour les victimes de Burke et Hare. William Burke et William Hare étaient deux irlandais qui tuèrent 17 personnes à Edinbourgh au début du 19ème siècle. Leur but était de revendre les cadavres aux écoles de médecine pour les cours d’anatomie. Ironie du sort, Burke fut exécuté en 1829 pour ses crimes, et son corps fut utilisé pour une dissection. Sur les 17 cercueils découverts à Arthur’s Seat, il en reste aujourd’hui 8 qui comptent parmi les objets les plus mystérieux du musée national d’Ecosse.

L’inconnue de la Seine

Si vous avez fait du secourisme, vous avez sans doute déjà vu ce visage. C’est celui de Resusci Anne, un mannequin d’entrainement utilisé pour les exercices de réanimation. Elle fut créée dans les années 50, et depuis, des millions de personnes ont appris à sauver des vies grâce à elle. Ce qui est moins connu, c’est l’histoire de son modèle. On raconte qu’à la fin du 19ème siècle, une jeune femme non identifiée fut retrouvée noyée dans la Seine.

Un employé de la morgue, fasciné par sa beauté, aurait fabriqué un masque mortuaire à partir de son visage. Des copies du masque furent réalisées, et l’image de l’inconnue de la Seine se répandit à travers l’Europe, devenant une véritable icone populaire. L’énigmatique visage était utilisé comme objet de décoration macabre, et il inspira de nombreux écrivains. Une autre version de l’histoire dit que le masque mortuaire aurait été moulé sur une jeune victime de la tuberculose, mais c’est le récit de la noyée qui est le plus communément admis aujourd’hui. La seconde carrière de l’inconnue de la Seine commence dans les années 1950, quand le fabricant de jouet norvégien Asmund Laerdal décide de créer un mannequin d’entrainement pour les secouristes. Laerdal souhaite lui donner un visage réaliste, et il s’inspire du masque de la jeune fille, qui était accroché dans la maison de ses parents. C’est ainsi que le premier mannequin de réanimation vit le jour, et qu’une inconnue morte au 19ème siècle devint la personne la plus embrassée de tous les temps.




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