Des « pigeons » aux « bonnets rouges », bestiaire des contestations

Au départ, il y avait les « pigeons », ou « geonpis ». Entrepreneurs du secteur high-tech, poussés par des investisseurs à protester contre un projet de hausse de la fiscalité sur les plus-values à la revente de sociétés. Une campagne rondement menée, au départ sur Facebook et Twitter, et qui fit, en une semaine, reculer le gouvernement.

Manifestation des "bonnets rouges" à Quimper le 02 novembre.

Dès lors, il semble que tous ceux qui ont une revendication à faire entendre – surtout si elle est fiscale – aient besoin de se baptiser du nom d’un animal ou de s’affubler d’un accessoire vestimentaire pour capter l’attention des médias. Cette propension a repris du poil de la bête ces dernières semaines avec la mobilisation des « bonnets rouges » bretons. Bestiaire et vestiaire.

  • Les « Poussins » autoentrepreneurs

Après le succès-éclair des « geonpis », d’autre contestataires ont donné dans le volatile. Ainsi le collectif des « Poussins » (#pioupiou) a défendu le statut des auto-entrepreneurs qu’ils estimaient menacé, exhortant le gouvernement à « ne pas tuer pas dans l’œuf [leurs] projets ».

Quelque 120 000 personnes ont signé la pétition des « poussins » adressée à Sylvia Pinel et Arnaud Montebourg, ministres de l’artisanat et du redressement productif. Un demi-succès : le gouvernement a présenté cet été en conseil des ministres un projet de loi ménageant la chèvre et le chou qui ne les a pas satisfaits.

  • Les « Dindons » de l’école

Toujours dans le registre des oiseaux, à l’automne 2012, des enseignants et personnels de l’éducation nationale se sont organisés en « Dindons » – pour ne pas finir en farce, évidemment. Ce collectif des dindons, premiers du nom, se veut « apolitique » entend agir pour la refondation de l’école et milite désormais contre la réforme des rythmes scolaires.

Lire sur le blog « Peut mieux faire » : Réforme des rythmes scolaires : les enseignants ne veulent pas être les dindons de la farce

  • Les « Dindons » (bis) des frontières

Mais les « Dindons », c’est aussi un collectif de frontaliers qui « ne veulent pas se faire plumer ». Ils habitent en France mais travaillent en Suisse et, à ce titre, ils avaient le choix entre l’un des deux systèmes de sécurité sociale ou une assurance privée – 85 % d’entre eux ont choisi cette dernière. C’est désormais terminé : ils devront cotiser en France.

  • Les « Abeilles » des assurances

Mouvement créé en janvier 2013, les « Abeilles » regroupent des salariés de compagnies d’assurance, d’entreprises de courtages et de mutuelles. Ils s’opposent à ce qu’ils ont baptisé la « Marisol-taxe » : un projet de la ministre de la santé Marisol Touraine d’amendement au budget 2014 de la Sécu qui prévoit de surtaxer les entreprises qui ne souscrivent pas à la mutuelle santé recommandée par les partenaires sociaux de leur branche. Le texte, en cours d’examen au Sénat, menacerait, selon les « Abeilles », 20 000 emplois.

Lire : Complémentaires santé : la polémique redémarre (édition Abonnés)

  • « Les Moutons » chez les indépendants

Les « Moutons«  sont nés en octobre 2012 dans la foulée des « Pigeons ». Soutenus par la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), ils dénoncent une hausse de leurs cotisations pour le Régime social des indépendants (RSI) et, plus généralement, les dysfonctionnements récurrents de ce régime. Leurs revendications n’ont pas été entendues.

Lire : Après les pigeons, les chefs d’entreprises « moutons » du RSI

  • Les « Tondus » des PME

Dans le même registre animalier, c’est un patron de sauna libertin, Guillaume de Thomas, qui a lancé le mouvement des « Tondus » en juillet 2013. Actifs sur Facebook, ces petits entrepreneurs, dont il est impossible de quantifier le nombre, ont décidé de ne plus payer leurs charges patronales, pour protester contre le coût du travail. Sur la présentation de leur profil Facebook, ils « exigent la fin des charges patronales pour faire revenir l’emploi en France ».

  • Les « Dodos » des concurrents des taxis

C’est une lutte (ancienne) qui oppose les artisans taxis aux véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC). Ces derniers se sont baptisés les « Dodos » du nom du volalite désormais disparu. Les entreprises de VTC s’estiment lésées par les réglementations leur imposant notamment un délai de quinze minutes avant toute prise en charge d’un client.

Lire : La guerre des taxis fait rage à Paris

  • Les « Cigognes » des sages-femmes

Si elles n’ont pas adopté la stratégie de communication virale des autres volatiles, les « Cigognes » ont fait parler d’elles depuis quelques semaines. A l’appel notamment de la CFTC, les sages-femmes se sont mises en grève pour demander d’être reconnue comme « praticien de premier recours » et, à l’hôpital, l’accès au statut de « praticien hospitalier ». « Cigognes oui, pigeons non ! », pouvait-on alors lire sur les banderoles des grévistes.

Lire : « Notre quotidien n’est pas rose layette »

Quelque 4 000 sages-femmes ont battu le pavé pour réclamer une meilleure reconnaissance de leurs compétences et une visibilité plus importante auprès du grand public.
  • Les « Bonnets rouges » contre l’écotaxe

Après les animaux, vinrent les bonnets et autres accessoires vestimentaires. Avec là encore un collectif fondateur qui en a inspiré d’autres.

Au commencement, étaient les « Bonnets rouges », inspirés du mouvement qui opposa, en 1675, les Bretons au roi de France autour d’un projet de taxe. Collectif d’agriculteurs et entrepreneurs bretons se sont mobilisés, parfois violemment, contre l’écotaxe poids-lourds. Mais rapidement, ce mouvement local, porté par des syndicats et quelques politiques bretons, a été récupéré.

Des pages Facebook dédiées aux « Bonnets rouges », mais initiés par des sympathisants UMP ou des groupes d’extrême-droite ont rapidement fleuri, au point d’obliger les « vrais » « Bonnets rouges » à faire des mises au point.

Lire : Comment la droitosphère a récupéré les « bonnets rouges »

  • Les « Bonnets verts » contre la TVA transports

Parodie de leurs prédecesseurs, les « Bonnets verts » militent pour l’écotaxe justement et contre la hausse de TVA dans les transports en commun. Proches de l’Association des Voyageurs-Usagers des Chemins de fer (AVUC), et comptant des soutiens à gauche comme à droite, ils ne se sont pas illustrés par des actions violentes.

Lire : Les « Bonnets verts » : pour l’écotaxe, contre la hausse de la TVA-transports

  • Les « Bonnets verts » (kakis) contre une décharge

Ils luttent contre un projet de décharge à Nonant-le-Pin (Orne). Une action locale qui a reçu le soutien du député centriste Hervé Morin.

Lire : A Nonant-le-Pin, les anti GDE et leurs bonnets verts (Ouest-France)

  • Les « Bonnets noirs » contre les loups et pour les PME

Deux groupes distincts ont choisi la couleur noire. D’une part un mouvement « contre le racket fiscal ». D’autre part un collectif d’agriculteurs du Sud-Est contre le retour des loups. Aucun des deux mouvements n’a pour le moment initié d’action d’ampleur.

  • Les « Bonnets oranges » des centres équestres

Avec un autre collectif, « La horde », ce sont cette fois les propriétaires et exploitants de centres équestres qui veulent protester, là encore contre une hausse de TVA. Ils manifestaient à Paris le 11 novembre, mais on a plus remarqué leurs chevaux que leurs couvre-chefs oranges…

  • Les faux « Bonnets » jaunes, bleus, blancs

Si on compte des collectifs sincères, d’autres apparaissent comme parfaitement opportunistes. Ainsi, les « Bonnets bleus » supposés défendre les policiers, les « Blancs » s’insurger contre les rythmes scolaires, ou les « Jaunes » greffés sur le mouvement des « Abeilles » contre une hausse de la fiscalité des assurances, ont tout de l’opération d’intox.

Toutes ces pages Facebook ont été créées entre le 5 et le 11 novembre, et toutes reprennent les mêmes expressions : « contre le racket fiscal », « Hollande démission », etc. Elles présentent de fortes similitudes avec les fausses pages des « Bonnets rouges » qui rappellent les méthodes de groupes d’extrême-droite ou de certains militants UMP.

  • Les « Bonnets roses » de la « Manif pour tous »

Autre opération de récupération, les « Bonnets roses » sont tout simplement une émanation du mouvement anti-mariage gay, qui avait pourtant déjà ses sweat-shirts floqués de son logo.

  • Les écharpes bleues pour l’autoroute

Sentant que la mode de cet automne était à l’accessoire de couleur, des élus locaux du Tarn se sont vêtus d’une écharpe bleue pour plaider en faveur d’une autoroute reliant Castres à Toulouse.

Lire : Les pro-autoroute occupent la sous-préfecture (La Dépêche du Midi)

  •  Les « Sacrifiés » artisans

Appelés à se mobiliser à compter du mercredi 13 novembre, les artisans ou commerçants se sont à leur tour auto-baptisés. Inquiets de la hausse annoncée de la TVA au 1er janvier 2014, ils lancent à l’initiative de l’Union professionnelle artisanale (UPA) une campagne de communication pour faire entendre leurs revendications.

Les « Sacrifiés » réclament le remplacement du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) par une baisse directe du coût du travail, un retrait de toutes les charges sociales supplémentaires qui pèsent sur les travailleurs indépendants depuis le 1er janvier, le rétablissement du crédit d’impôt apprentissage au-delà de la première année et encore l’exclusion de l’artisanat et du commerce de proximité du régime de l’auto-entrepreneur.

Source : http://www.lemonde.fr/politique/article/2013/11/13/des-pigeons-aux-bonnets-rouges-bestiaire-des-contestations_3512888_823448.html