COUP DE COEUR

Si vous avez la télé, ne loupez pas cette émission sur Arte demain dimanche.

Bibliothécaires du désert, ils baladent leurs livres en yak ou en chameau

Dès les premières images du documentaire « Hungry Minds » (Arte, dimanche 13 octobre), on voit défiler un troupeau de chameaux portant des caisses en bois. Le chargement semble lourd. Cela se passe quelque part au nord du Kenya, à quelques kilomètres seulement de la Somalie. Au vu des évènements récents, il pourrait avoir une certaine méfiance vis-à-vis du chargement, mais détrompez-vous, les chameaux conduits par Abdullahi Osman portent sur leurs bosses… des livres. Ceux de sa bibliothèque mobile, sa « Mobile Camel Library ».

Depuis quatorze ans, ce Somalien, amoureux des livres, parcourt dix jours par mois des villages perdus à la frontière entre ces deux pays de l’Afrique de l’Est. Avec son équipe, il se rend dans des écoles ou dans des camps de nomades somaliens et prête des livres aux enfants et parfois aussi aux adultes.

Kiswahili, anglais, maths, bandes dessinées : les lecteurs découvrent avec avidité les trésors transportés par Abdullahi, qui les étale à même le sol, pour que chacun puisse s’en servir. « La vie doit commencer quelque part et la mienne a commencé avec mon métier de libraire », affirme avec fierté ce bouquiniste du désert.

« Les livres, nos armes contre la faim »

Abdullahi est l’un des libraires dont la réalisatrice allemande Beatrix Schwehm dresse le portrait dans son dernier documentaire, « Hungry Minds » (« Esprits affamés » qui sera diffusé sur Arte le 13 octobre, et qui a obtenu le prix « Bridge Between Cultures » au Festival du film documentaire de Palerme.

Le film est un véritable tour du monde où le spectateur voyage du Kenya au Bangladesh, puis en Mongolie et de retour, pour retracer l’histoire de trois hommes qui, contre vents et marées, apportent des livres à des populations qui ne peuvent pas s’en procurer.

Au-delà des livres, ces « bibliothécaires mobiles » sont porteurs d’espoir et d’une certaine ouverture sur le monde. Abdullahi affirme :

« Dans cette partie du pays, les gens sont illettrés. Si leurs enfants ont une éducation, ils pourront faire face à leurs vies, trouver un travail. Les livres, ce sont nos armes contre la faim. »

Au Bangladesh, c’est autour de l’architecte Mohamed Rezwan de présenter sa « bibliothèque flottante », comme il appelle le bateau en bambou qu’il a fait construire par des artisans locaux. Il y a même placé des panneaux solaires pour faire marcher des ordinateurs et permettre aux visiteurs de recharger les batteries de lampes et téléphones portables :

« Je viens du nord du pays où les gens sont très pauvres et vulnérables aux effets du changement climatique, il y a souvent des inondations. Je voulais trouver une solution pour accéder aux gens en tout temps, y compris pendant la mousson. »

A chaque escale, ce sont des dizaines d’enfants et de jeunes, dont beaucoup de filles, qui montent à bord pour apprendre les rudiments de l’informatique ou emprunter des livres. Aujourd’hui, près de 90 000 personnes, tous âges confondus, bénéficieraient des services de cette bibliothèque mobile.

Faire lire les enfants nomades de Mongolie

C’est dans la beauté des plaines mongoles que Beatrix Schwehm a suivi Jambyn Dashdondog. Auteur de livres pour enfants, aux allures de papy gâteau, Dashdondog quitte régulièrement son petit appartement d’Oulan-Bator avec des cartons pleins de livres, direction les yourtes des nomades installés au milieu de nulle part.

En voiture, par avion, ou à dos de yak si nécessaire, il part à la rencontre de ces familles dont les enfants sont très souvent isolés. Le vieil homme affirme :

« En Mongolie, le commerce de livres n’est pas rentable. Les familles changent souvent de place à la recherche des pâturages pour le bétail et les enfants n’ont presque aucun accès à la lecture, cela limite leur créativité. »

Avant de rajouter : « Qui sait, peut-être qu’il y aura parmi eux un futur Premier ministre… »

Et c’est alors que la caméra se pose sur un groupe de petits Mongols qui regardent, émerveillés, les pages colorées d’une histoire qui se passe au Kenya. La seconde d’après, c’est un groupe d’écolières somaliennes qui découvre le même livre, juste avant un jeune garçon à bord du bateau-bibliothèque du Bangladesh…

Trois réalités distinctes mais en fin de compte la même, grâce aux trois libraires et à leur passion.

Source : Yamila Castro Berlin pour rue 89