Les rhinocéros du parc du Grand Limpopo (Afrique du Sud) ont été décimés par leurs propres gardes

Le rhinocéros, animal symbolique en voie d’exctinction, vient d’être éradiqué de la partie mozambicaine de l’un des parcs transfrontaliers les plus célèbres d’Afrique australe, ceci avec la duplicité de certains rangers, appâtés par l’argent facile de la demande asiatique.

Le parc national du Limpopo (11 000 km²), fondé en 2002, fait partie du parc national du Grand Limpopo, qui englobe des territoires d’Afrique du Sud (parc national Kruger), du Mozambique (parc national du Limpopo) et du Zimbabwe (parc national de Gonarezhou) qui s’étend sur plus de 35 000 km². Il abrite une biodiversité exceptionnelle, mais aussi des sociétés humaines qui doivent composer avec ce sanctuaire sauvage.

Ce parc national est célèbre pour ses grands mammifères et notamment la sous-espèce de rhinocéros blanc du Sud (Ceratotherium simum simum) qui était une réussite en terme de conservation. En effet,l’UICN indiquait en 2011 que la population sauvage de rhinocéros blanc du sud était passée de moins de 100 individus à la fin du 19e siècle à plus de 20 000 aujourd’hui. Et pourtant, la tendance pourrait bien s’inverser avec l’explosion des prix et du trafic de corne de rhinocéros.

Ainsi, le parc national du Limpopo abritait 300 rhinocéros à sa création, 11 ans plus tard, il n’en reste plus un seul : les quinze derniers rhinocéros recensés en 2011 dans le parc national du Limpopo, au Mozambique, ont été décimés par des braconniers avec la complicité de certains rangers censés les protéger…

C’est le directeur du parc, António Abacar, qui a annoncé la triste nouvelle au journal The Portugal News : plus aucun rhinocéros vivant n’a été aperçu depuis janvier 2013 dans le parc, « ce qui signifie que ceux qui vivaient dans le parc sont probablement morts« . Pire, « notre plus grand problème c’est que certains de nos employés sont impliqués dans le braconnage » a-t-il ajouté. 30 garde-chasses impliqués seront rapidement traduits en justice et comparaîtront pour complicité dans le massacre de rhinocéros.

Kelvin Alie, Directeur du programme Criminalité faunique et sensibilisation des consommateurs d’IFAW, s’insurge : « Cette situation est insoutenable. Les garde-chasses ont désormais rejoint les lignes ennemies dans la lutte pour la protection des rhinocéros contre le braconnage de leurs cornes (…) Le fait qu’une population entière de rhinocéros ait été exterminée dans le cadre d’une initiative de conservation majeure avec le concours d’agents de protection de la faune sauvage montre bien que les braconniers ne reculent devant rien pour obtenir leur butin« .

Pourquoi les rhinocéros sont-ils massacrés ?

Vendues au marché noir pour la médecine traditionnelle asiatique, les cornes de rhinocéros atteignent des prix tellement élevés (plus de 65 000 euro le kilo en mars 2013) que bien des hommes sont prêts à risquer leur vie pour s’en procurer et les revendre.

Les pseudo-vertus médicinales

Les cornes, qui finissent généralement broyées et transformées en poudre et trempées dans l’eau chaude, sont commercialisées notamment en Indonésie et au Vietnam où la demande explose.

Elles sont prisées pour leurs prétendues vertus contre la fièvre, le cancer, l’arthrite, l’impuissance, l’hypertension artérielle, les migraines, la typhoïde, la variole, en fait presque pour tout et n’importe quoi… Sans aucun fondement scientifique, comme l’atteste une étude qui a été menée il y a déjà 30 ans par l’UICN et le WWF et citée dans cet article de National Geographic : « L’étude ne trouve aucune preuve selon laquelle la corne de rhinocéros aurait un quelconque effet médical comme antipyrétique pour diminuer la fièvre, un usage très répandu en Asie. La corne est comme les ongles, en ce sens qu’il s’agit de cheveux agglutinés, et n’a pas de propriétés analgésiques, anti-inflammatoires ou anti-spasmolytiques. » Selon le Dr. Raj Amin, de la Société zoologique de Londres, consommer de la corne de rhinocéros « reviendrait d’un point de vue médical à manger ses propres ongles« …

Une marque de statut social

Au Yemen, posséder un couteau avec un manche fabriqué en corne de rhinocéros est l’apanage de l’élite. Cet article décoratif est considéré comme un symbole de virilité et de prestige, un moyen de montrer son statut social. Cependant, le marché asiatique est bien plus préoccupant.

Parmi les Vietnamiens aisés, la corne est un symbole de statut social, un moyen pour eux d’étaler leurs richesses de façon ostentatoire. Les plus riches et les fonctionnaires du gouvernement s’offrent mutuellement des cadeaux confectionnés à partir de corne de rhinocéros…

La corne de rhinocéros alimente un trafic juteux

Début janvier 2013, plus de 27 kilos de cornes de rhinocéros, d’une valeur de plus d’un million d’euros, ont été saisis en Thaïlande et au Vietnam.

En Thaïlande, un Vietnamien a été arrêté à l’aéroport de Bangkok en possession de six morceaux de corne d’un poids total de 10 kg et d’une valeur estimée à quelque 450 000 euros, selon les autorités thaïlandaises. Le suspect, 56 ans, dit avoir transporté les cornes en voiture du Mozambique jusqu’en Ethiopie, avant de prendre un avion pour Bangkok. Il a été interpellé alors qu’il devait embarquer sur un vol pour la capitale vietnamienne, Hanoï.

Dans le même temps, au Vietnam, les douanes ont saisi six morceaux de corne pour un poids total de 16,5 kg, a rapporté le quotidien vietnamien Thanh Nien. Les cornes, qui proviendraient du Mozambique, ont été trouvées dans les bagages d’un Vietnamien à l’aéroport d’Hô Chi Minh-Ville.

Ces deux affaires récentes ne reflètent que le sommet émergé de l’iceberg du trafic illégal d’espèces sauvages.

Comment lutter contre le trafic de corne de rhinocéros ?

Renforcer la coopération internationale

Les 178 pays membres de la Convention sur le commerce international des espèces menacées (CITES) ont organisé à Bangkok, début mars 2013, la première réunion mondiale des réseaux en charge de la lutte contre la fraude liée aux espèces sauvages, en parallèle de la 16e session de la Conférence des Parties à la CITES. Objectif : renforcer les capacités de lutte contre la fraude et la coordination en la matière pour faire face à la grave menace des réseaux de criminalité organisée liée aux espèces sauvages.

A cette occasion, les représentants des réseaux existants et émergents ont reconnu l’importance d’une collaboration accrue pour renforcer encore les efforts de lutte contre la criminalité liée aux espèces sauvages. Ils ont accueilli favorablement la création d’un « réseau » des réseaux ou des groupes de lutte contre la fraude liée aux espèces sauvages – en se fondant sur les accords de coopération existants au niveau mondial, comme le Consortium international de lutte contre la criminalité liée aux espèces sauvages (ICCWC).

John E. Scanlon, le Secrétaire général du Secrétariat CITES, ICCWC a déclaré : « De portée transnationale, le commerce illicite de produits des espèces sauvages et de la forêt n’a jamais été aussi intense et bien organisé. Le meilleur moyen de contrer cette grave criminalité et de protéger les espèces et les populations qu’elle menace et consiste à apporter des réponses coordonnées qui articulent et harmonisent l’action, tout en transcendant les frontières et les organisations« .

Une vision partagée par Jason Bell, Directeur d’IFAW en Afrique australe : « Une coopération transfrontalière et des opérations de répression s’appuyant sur les renseignements de terrain constituent le seul moyen de mettre un terme au braconnage et au trafic d’espèces sauvages. Le problème est trop vaste pour qu’un pays puisse faire cavalier seul. Il faut que les pays de l’aire de répartition des espèces concernées, les pays de transit et les pays demandeurs partagent leurs ressources judiciaires, et notamment les informations dont ils disposent, si l’on veut mettre un terme à l’impunité des cadors du trafic international d’ivoire« .

Mieux contrôler la chasse et la corruption en Afrique du Sud

L’Afrique du Sud et le Swaziland sont les deux seuls pays au monde à autoriser la chasse au rhinocéros, mais sous contrôle. Des trophées de chasse peuvent même être légalement exportés mais uniquement si les chasseurs y sont autorisés via des permis, ce qu’autorise également la CITES.

Malheureusement, outre l’incompréhension qui entoure ces pratiques d’un autre temps, cette chasse légale est profondément corrompue. Chasseurs, petits trafiquants, fonctionnaires, propriétaires de réserves : une véritable organisation criminelle sophistiquée s’est mise en place afin d’alimenter un trafic légal et très lucratif. Les permis de chasse sont falsifiés ou délivrés en échange de pots-de-vin. La chasse peut alors débuter : hélicoptères, fusils de gros calibre ou armes de guerre ne donnent aucune chance aux rhinocéros.

Les ONG de protection des animaux exhortent l’Afrique du Sud à mettre fin à la chasse légale de rhinocéros afin de freiner l’offre et les opportunités données aux contrebandiers.

Mais les partisans de la chasse contrôlée rappellent que celle-ci a également joué un rôle clé pour la conservation du rhinocéros. En effet, les importants revenus tirés de la chasse légale ont convaincu les populations de l’intérêt de préserver les rhinocéros…

De plus, depuis 2008, les forces de sécurité de l’Afrique du Sud ont tué 279 braconniers mozambicains et arrêté 300 autres. Les autorités sud-africaines, manifestement incapables d’assainir leur chasse légale, se cachent derrière la menace des contrebandiers qui viennent du Mozambique voisin et envisagent plutôt de clôturer leur frontière. Malheureusement, cette solution n’en est pas une pour les animaux qui se déplacent sur de grandes distances et ne résoudra pas la corruption.

Le Ministère de l’environnement d’Afrique du Sud a rappelé que le parc national Kruger restait la réserve la plus sévèrement touchée par le braconnage de rhinocéros en Afrique du Sud. Ainsi, depuis janvier 2013, pas moins de 180 rhinocéros sur les 249 vivant encore dans le parc Kruger ont été tués. L’année dernière, 668 rhinocéros ont perdu la vie en Afrique du Sud en raison du braconnage. Rappelons que 90 % des rhinocéros d’Afrique, soit seulement 20 000 individus, sont concentrés en Afrique du Sud.

Mieux contrôler les importations aux frontières du Vietnam

Officiellement, le Vietnam interdit strictement le commerce des espèces sauvages, une pratique qui est contre la loi vietnamienne et les conventions internationales auxquelles le pays est signataire.

Selon les chiffres de la CITES sur les licences d’exportation et d’importation, 657 cornes de rhinocéros ont été légalement importées d’Afrique du Sud au Vietnam en tant que trophées de chasse entre 2003 et 2010. Mais le chiffre enregistré par les autorités vietnamiennes est seulement de 170. Un manque à gagner pour le gouvernement qui ne perçoit pas les taxes d’importation et une aubaine pour les trafiquants.

Luong Thanh Nghi, porte-parole du ministère vietnamien des Affaires étrangères, a déclaré : « L’Afrique du Sud et le Vietnam ont signé un protocole d’entente sur la gestion de la biodiversité » pour lutter contre ce trafic. La CITES a demandé au Vietnam d’être plus vigilant, les actions judiciaires menées jusque là étant considérées comme « limitées », selon la Convention.

Légaliser la vente de cornes de rhinocéros

Face à cette situation d’urgence, trois scientifiques : Frank Courchamp du CNRS, Duan Biggs et Hugh Possingham, de l’Université de Queensland en Australie proposent de légaliser la vente de cornes de rhinocéros afin d’en contrôler le commerce et sauver ainsi l’espèce de l’extinction. Faisant le constat que l’interdiction mondiale de ce commerce – en 1975 – a échoué, ces « environnementalistes engagés » soulignent que « les cornes de rhinocéros valent désormais plus que l’or ». En effet, le prix au détail des cornes de rhinocéros atteint aujourd’hui 65 000 dollars le kg, un prix qui a plus que décuplé en vingt ans.

Pour briser l’attractivité de ce marché noir délirant, les chercheurs proposent de satisfaire la demande mondiale dans le cadre d’un commerce encadré, alimenté par la découpe des cornes de rhinocéros vivants « sans aucun traumatisme » et la récupération des cornes sur les animaux morts de cause naturelle. Un moindre mal lorsque l’on sait que les cornes de rhinocéros repoussent comme les ongles.

Cette démarche permettrait de faire baisser le prix du marché et assurer une traçabilité du produit. Pour appuyer leurs propositions, les scientifiques rappellent notamment que la légalisation du commerce de peaux de crocodiles a permis de sauver l’espèce.

En attendant, avec la raréfaction des rhinocéros, les braconniers se tournent de plus en plus vers les éléphants qui sont massacrés en grand nombre comme en témoignent les atrocités perpétrées l’année dernière au Cameroun où des centaines d’éléphants, y compris des jeunes, ont été tués.

Sources

Auteur

Christophe Magdelaine / notre-planete.info