Crise : l’été de tous les dangers

 Tout paraît suspendu. Les vacances d’été, les Jeux olympiques offrent une distraction, tandis que les responsables politiques sont partis en vacances, laissant accroire que tout est sous contrôle. On ne parle de rien. Pourtant, c’est l’été de tous les dangers. Le dérèglement de la crise ne cesse de s’approfondir.

Chaque jour apporte son lot de mauvaises nouvelles. La plus importante de la semaine est la confirmation d’une situation que les Européens ont anticipée depuis plusieurs semaines : l’Europe dans son entier entre en récession. Après la Grèce, l’Espagne, l’Italie , le Portugal, ce sont désormais les économies centrales européennes qui sont atteintes.

Le plus surprenant est que cette dégradation semble prendre tout le monde de court. Des Banques centrales aux instituts de statistiques, ils se sont tous trompés depuis le début de l’année, n’anticipant pas la récession, et surtout la vitesse à laquelle elle s’opère. Ainsi le gouvernement français bâtissait il y a un an un budget 2012 sur une prévision de croissance de 2,25 % . Celle-ci a été revue quatre fois à la baisse, une dernière fois en juin : il n’était plus question que d’une croissance de 0,3 %. Pas sûr que ce chiffre puisse être tenu. En tout cas, les hypothèses de croissance (1,2 %) sur lesquelles le gouvernement a bâti son projet de loi de finances pour 2013 paraissent déjà hors d’atteinte.

Baisse de la production industrielle, de la consommation, hausse du chômage

Toutes ces prévisions pourraient encore être trop optimistes, au vu de la chute économique  en Europe. À plus de 11,5 %, le chômage n’a jamais été aussi élevé dans la zone euro, depuis sa création. Et ce n’est qu’une moyenne qui permet de masquer les 25% de chômage en Espagne les 22% de la Grèce, les 15% du Portugal et de l’Irlande.

La confiance a disparu chez les Européens, hantés par la crise et tétanisés par l’exemple de la Grèce. La consommation est partout en recul. Symbole : les immatriculations de voitures neuves, secteur industriel encore prépondérant en Europe, ont  chuté de plus de 11 % en juin, avec des pointes de plus de 22 % en Italie. La production industrielle s’anémie. En Espagne, elle est en baisse pour le dixième mois consécutif, enregistrant une chute de 12,8 % en juin pour les biens d’équipements, et de 11,9 % pour les biens de consommation. La production industrielle française était en recul de 2 % en mai, celle de l’Allemagne de 0,9 % en juin.

Tout cela laisse anticiper de lourdes conséquences sociales dès la rentrée. Les plans sociaux, qui se sont à peine interrompus en août, risquent de reprendre très vite, au vu de la dégradation économique. En présentant leurs résultats du premier semestre, les grands groupes n’ont d’ailleurs pas caché leurs intentions. Ils renoncent à tout investissement, ont déjà commencé à lancer de nouveaux plans d’économie. Ils ont même commencé à se retirer, au moins partiellement, de l’Espagne, qu’ils jugent pour l’instant sans grande perspective.

La crainte de voir l’économie européenne entraînée dans une spirale totalement récessive n’est même plus un scénario de science-fiction. D’autant que l’Europe, ne tirant aucune leçon de l’effondrement actuel, nourri par les politiques d’austérité appliquées partout en Europe à la fois, a décidé d’en rajouter.

Pour tenter d’éviter la mise sous tutelle du pays, le gouvernement espagnol, qui avait déjà lancé un plan d’économies de 65 milliards d’euros, entend le pousser à 102 milliards, au moment où les régions espagnoles font faillite, où des hôpitaux et des fonctionnaires ne sont plus payés, où des écoles ne pourront peut-être pas rouvrir à la rentrée. En Italie, le gouvernement vient de faire voter un programme de 4,5 milliards d’euros supplémentaires tout de suite. La France veut trouver plus de 12 milliards d’euros d’ici à la fin de l’année. Au terme d’un neuvième plan consécutif de réforme, la Grèce cherche à nouveau 11,5 milliards d’euros de réductions budgétaires, et est prête, pour donner les gages attendus à ses créanciers européens, à briser le tabou du non-licenciement des fonctionnaires, au risque de mettre en péril la fragile coalition gouvernementale, issue des élections de juin.

Flambée du pétrole et du blé

Toute à sa crise, l’Europe ne prête guère attention aux nouvelles venant de Chine.

Mais les prédictions de Robert Boyer semblent se confirmer. En dépit des nombreuses incertitudes pesant sur la fiabilité des statistiques chinoises, celles-ci montrent quand même la tendance : la croissance économique ralentit sec en Chine, tout comme les excédents commerciaux, qui s’amenuisent au fur et à mesure de la baisse de la consommation en Europe. Les problèmes masqués resurgissent. La bulle immobilière qui a sévi dans tant de provinces est en train d’exploser partiellement. Surtout, la concurrence entre les provinces qui a amené à la multiplication d’usines et d’outils de production est en train de se transformer en crise de surcapacités, exacerbée par l’absence de débouchés extérieurs.

La Banque centrale chinoise a pris plusieurs dispositions pour essayer de contenir les déséquilibres et relancer la machine économique. Elle a notamment choisi d’abaisser les réserves légales des banques afin de les inciter à financer plus l’économie. Des mesures pour tenter de temporiser et d’organiser un repli en bon ordre. Mais le gouvernement chinois pourrait être vraiment pris de court, si la dégradation s’amplifiait en Europe et/ou aux États-Unis.

Pour compléter ce sombre tableau, deux autres facteurs économiques, eux aussi passés sous silence, pourraient peser lourd dans les mois qui viennent : la hausse du pétrole et celle des matières premières agricoles.

Le baril de brent est à nouveau en hausse,  à 112,55 dollars, en raison des conflits au Moyen-Orient, la spéculation cherchant des valeurs refuges faisant le reste.  Les cours du blé, du maïs, du soja  se sont envolés à l’annonce des mauvaises récoltes américaines, liées à la sécheresse qui frappent les Etats-Unis. Depuis la mi-juillet, ils  ont enregistré respectivement des augmentations de 52%, 3% et 15,9%. Les spéculateurs se sont bien entendu précipités. Les augmentations de ces matières premières essentielles ne vont pas tarder à se répercuter très vite dans les prix alimentaires, frappant en premier les pays les plus pauvres.

Cinq ans après le début de la crise, celle-ci prend à nouveau des allures effrayantes.

Source : http://www.mediapart.fr/journal/economie