Réfléchir : Sortir du piège de la toile d’araignée mondiale

Le texte qui suit est le dernier texte de notre ami Zénon.  Dans la présentation qu’il en fait sur le  mail de présentation qu’il nous adresse, il le qualifie de dur. Dur ? Non. Il est seulement accordé au tempo du monde…

Ce que j’aime chez Zénon, c’est qu’avec lui, nous éprouvons un réel plaisir de lecteur ce qui est loin d’être le cas de nombreux articles. Quelques-uns ont ce talent trop rare. Il faut faire vite et efficace, rentabilité oblige et j’en suis moi-même la première victime. Pour écrire comme je le voudrais, il me faudrait au moins doubler le temps que je consacre au blog. Chronos dévore ses enfants et je tiens à ma peau. Son style toujours pur est précis.  Chaque mot est à sa place et défend l’idée. C’est efficace, mais pas que : La touche de poésie et d’émotion à chaque fois présentes en conclusion du texte, parlent au cœur tout autant qu’à l’esprit et lui donnent un impact très particulier .

Sur le fond, l’analyse est fouillée, et la démonstration brillante.  Zénon nous interroge sur cet outil possiblement manipulatoire que pourrait être cette toile dans laquelle et avec laquelle sont tissées nos vies. Et si ce n’était qu’un gigantesque piège, et l’illusion de liberté qu’elle donne, un enfermement ?  L’argumentation est implacable et au fur et à mesure de son déroulement, le doute s’installe : Ce que nous considérons généralement comme un outil de démocratie serait-il en réalité l’instrument d’une dictature ?

Galadriel

Tangente

Sortir du piège de la toile d’araignée mondiale

Imaginez une arme d’apparence tellement inoffensive, que vous pouvez la tendre à vos ennemis, et que s’en saisissant, 99% d’entre eux la prennent pour un jouet. Une arme à-même de faire ou défaire aussi bien une révolution qu’une dictature, sans que son usage paraisse au grand jour. Imaginez que cette arme contrôle toutes les infrastructures et la logistique des pays : les transactions financières, le transport aérien, maritime et routier, la communication dans les entreprises, les dossiers médicaux des citoyens ou même leur vie amoureuse… Une arme qui, par son action omniprésente, attaque et se substitue petit à petit à nos défenses et capacités naturelles, comme notre sens de l’orientation ou notre mémoire. Imaginez qu’elle permette non seulement d’anticiper les réactions de l’ennemi, mais encore de les susciter ; d’insinuer en lui une idée dont il sera certain d’être l’auteur. Une telle arme aurait été le rêve de tous les despotes historiques… Elle est aujourd’hui la réalité d’internet.

Il est certes paradoxal de la part de quelqu’un s’exprimant par ce biais pour la douzième fois de mettre en question le support qui nous réunit… Pourtant, nous qui en usons pour nous instruire, échanger des idées ou informations, n’y trouvons comme n’importe quel autre utilisateur qu’une sorte de miroir déformant de nous-mêmes. Nous recherchons et rencontrons finalement ce qui nous ressemble. Internet produit l’imitation et la parodie de cette occurrence voulant que l’on attire à soi ce qu’on vibre. À cette propriété mentale s’ajoute l’immixtion des algorithmes et de la censure ciblée… Nous projetons notre vision individuelle sur ce que peut être l’ensemble du web. Dans quelle mesure évitons-nous la collective illusion d’optique de croire qu’internet nous rassemble ?

J’ai il y a un an pris ce pseudonyme car Zénon d’Élée a parfaitement, quoiqu’un peu trop ironiquement pour être pris au sérieux, énoncé l’erreur de fond dans le schéma-type de pensée occidental : celui de la division du mouvement, de la segmentation intellectuelle de la circulation des fluides, de la matière, de l’énergie et de l’esprit. Ce fonctionnement mental ne nous est pas inné… Il nous est inculqué, transmis de génération en génération depuis plusieurs millénaires. Il se trouve à la source de tous nos maux et conflits actuels. On retrouve souvent cette interrogation lancinante : qui sont les plus responsables de ce merdier ? Les maîtres à la fois craints et honnis, ou bien nous les peuples, qui les plaçons au pouvoir ? Et cette autre question lui succède parfois : tout ce chaos, toute cette misère sont-ils des fruits du hasard ? Ou le résultat d’un grand complot ourdi depuis la nuit des temps ?

Ce divorce d’avec l’Unicité originelle ; cette manie de tout étiqueter et compartimenter remonterait selon certains à l’Égypte antique, d’autres à Sumer ou à Babylone. Nul n’en n’est véritablement sûr. Nous savons en revanche que l’écriture est d’abord allée de pair avec les mathématiques, et que le Verbe a vite été réquisitionné par les marchands du temple… Tandis que le principe exclusif et manichéen de division prospérait au sein des peuples, aussi bien sous formes de confessions religieuses que d’obédiences politiques, une petite caste d’initiés s’est réservée la connaissance de cette Unité première ; de ses qualités comme de ses usages. Se réclamant toutes inspirées des Mystères d’orient, ces confréries ont fondé leur pouvoir sur l’art de semer le trouble et la division ; d’exploiter les conflits ainsi fomentés entre les peuples tout en sachant se préserver des dommages collatéraux de leurs politiques.

Ce système dualiste, imbibant jusqu’à nos cœurs depuis lors, s’est érigé au fil des siècles et cristallisé en institutions politico-religieuses ; en écoles de dressage, en tribunaux, en croisades. En entreprises coloniales et en génocides par décrets. L’affirmation sans cesse renouvelée que ceux qui nous diffèrent sont nos ennemis a toujours permis et justifié les pires boucheries… À mesure que s’est enraciné plus profondément ce travers d’esprit qui consiste à nous croire séparés du reste du Monde, s’est également solidifiée l’emprise, et élargi le champ de contrôle sur notre libre-arbitre aux mains des dirigeants. Aujourd’hui, une synarchie financière absorbe non seulement toutes les ressources, mais aussi le fruit du labeur de l’immense majorité des habitants de la planète. L’étendue de son pouvoir et la voracité de sa prédation sont tels qu’elle peut décider du jour au lendemain d’éliminer toute une population si ça lui rapporte… Guerres, déportations, famines : du point de vue de la dynamique, toutes les tragédies que nous connaissons traduisent la matérialisation dans les faits d’un « code » de pensée à la base autodestructeur et erroné.

Prenons un exemple concret. Les soi-disant « initiés » connaissent la parenté de l’esprit et de la matière. Ils savent qu’il suffit pour l’un comme l’autre de semer puis d’entretenir et d’attendre avant de récolter. La réalisation des programmations prédictives que sont les prophéties religieuses obéit au même principe : il ne s’agit pas de la volonté d’un dieu ou d’un autre, mais de l’utilisation à mauvais escient par quelques-uns de la magie du Verbe et l’acceptation par le plus grand nombre de leurs paroles comme inéluctables… Le reste relève d’une logique inaccessible aux profanes… N’est-il pas vrai que la partition est bien jouée ?

Si je me suis permis cette digression a priori sans rapport avec le sujet, c’est car internet représente le couronnement de ce rapport binaire que nous entretenons avec les autres et avec nous-mêmes.

Rappelons qu’à l’origine, le net fut un projet conçu et mis en œuvre par la DARPA, c’est-à-dire le département des recherches de la défense US. Très active notamment dans les domaines de l’intelligence artificielle et de la robotique, l’agence est aujourd’hui l’un des fers de lance des promoteurs du transhumanisme. Ses travaux ont pour visée commune la fusion de l’Humain et de la machine, et pour objectifs d’une part le contrôle absolu des populations soumises, et d’autre part une hypothétique immortalité réservée à l’élite. La DARPA dispose d’un budget relativement limité, mais fonctionne en partenariat avec des investisseurs intéressés par le développement de telle ou telle technologie… Aussi est-il délicat d’évaluer l’envergure de ses expériences. Et même si la diffusion d’internet a été principalement le fait d’acteurs privés, ne croyons pas que l’agence se soit désintéressée du bébé : elle consacre chaque année plusieurs centaines de millions de dollars à la lutte contre la « cybercriminalité ».

D’abord essayé par quelques universités, internet a vu son architecture et le programme de navigation que nous appelons communément « web » développés par des entreprises comme Hewlett-Packard dans la Silicon Valley encore naissante, ou bien des organismes internationaux comme le CERN pour sa branche européenne… À vocation éducative à ses débuts, l’ouverture du net au grand public l’a diffusé comme une trainée de poudre dans les milieux des affaires et de la finance. Dès 1971 est apparu le premier marché boursier informatisé, et de nos jours, les algorithmes permettent le montage illimité de chaînes de Ponzi d’argent virtuel… Au cours des années 90 et 2000, internet a conquis les domaines de l’industrie, de l’information, de la distribution, des services… Il s’est insinué peu à peu dans nos métiers, plus rapide, plus pratique. Et surtout plus rentable au point de souvent s’y substituer. Il s’est également invité dans nos foyers comme une fenêtre ouverte sur le grand Monde, un fidèle compagnon remède à toutes nos lacunes et nos solitudes. Puis de plus en plus sournoisement comme une insensible attirance pour un éternel ailleurs. Fin des années 2000, le net s’est greffé pour beaucoup au téléphone portable… Il ne se passe depuis lors, qu’on le veuille ou non, plus un instant sans qu’il nous accompagne.

Au cours de l’année 2016, le nombre de connexions depuis les tablettes et les téléphones mobiles a dépassé celui depuis les ordinateurs. Entre toutes, notons l’écrasante majorité à destination des réseaux sociaux (2,2 milliards d’utilisateurs par mois), talonnés par les moteurs de recherche, puis par youtube, suivis de l’encyclopédie du consentement et des sites de vente en ligne. Vient ensuite le porno (12% du nombre total de pages internet et environ un tiers du trafic mondial), les systèmes de paiement et les jeux en ligne… Le net semble exacerber cette étrange tendance à nous accoutumer à nos vices. Regardons d’un peu plus près ce qu’il en est.

Les statistiques au sujet de l’utilisation des « réseaux sociaux » donnent le vertige à elles seules. L’an dernier, on a estimé la durée moyenne de connexion à ces plateformes à une heure et demie par jour et par internaute. 97% d’entre eux s’y connectent régulièrement et chacun possède en moyenne sept comptes différents. 30% de tout le trafic internet est consacré à ces sites, dont 40% des utilisateurs déclarent les fréquenter pour simplement passer le temps… D’un narcissisme resté peu ou prou latent chez les générations élevées sous l’écho uniforme des paroliers télévisuels, nous sommes passés à une société d’auto-promotion permanente où l’instant vécu importe moins que sa mise en scène… Regardez ces troupeaux de zombies hagards hanter rames de métro, terrasses de cafés et salles de classe. Quoi d’étonnant à ce phénomène quand on sait que le nombre de « likes » sur une page perso prodigue au cerveau une décharge de dopamine, hormone de la récompense, capable de rendre plus accro que la cocaïne ?

On notera également la seconde position de youtube au classement mondial des sites les plus fréquentés. C’est-à-dire une nette et grandissante prévalence de la vidéo sur l’écrit…  Je pense inutile de s’étendre sur la participation d’internet à la disparition du commerce et à la désindustrialisation, nous y avons tous personnellement déjà été confrontés. Mais cela prend des proportions plus graves à l’heure où ce qui s’appelle encore pudiquement « fracture numérique » exclut et menace de « mort sociale » ceux n’y ayant pas accès… Ce danger est particulièrement prégnant pour les plus jeunes qui ayant grandi avec cet outil se méfient moins de la dématérialisation de toutes les procédures.

Nous qui pensons utiliser cette arme contre l’ennemi considérons internet comme une formidable banque de données. Et en effet, quasiment tous les savoirs du Monde y sont accessibles, ce qui nous offre l’occasion d’un saut de conscience collectif. Mais d’un autre côté, rappelons-nous notre enfance : lorsque nous recherchions l’orthographe ou le sens d’un mot dans un dictionnaire, celui-ci nous restait gravé, tandis qu’une réponse donnée toute cuite au bec ne laissait à notre mémoire qu’une légère empreinte… Nous occultons de plus l’autre versant du problème : à savoir que si nous apprenons d’internet ; s’il nous permet par exemple de porter en place publique les forfaits et la corruption des élites et de leurs affiliés, internet les informe également sur nous mieux que ne le feraient toutes les agences de renseignement réunies.

C’est ici qu’intervient, sous le prétexte habituel d’« antiterrorisme », la collecte massive de toutes nos données de connexion, lesquelles permettent le traçage de nos habitudes, de nos goûts, dégoûts et penchants personnels. Comme on l’a vu avec le projet échelon, PRISM, puis avec ce « patriot act » à la française de la loi de surveillance, ils officialisent toujours à grands renfort d’attentats les percées déjà réalisées de fait contre la vie privée en ligne. Que ceci soit clair : cette privauté n’existe pas sur le net…

Cette surveillance sert plusieurs objectifs. La chasse aux dissidents politiques n’en est un que de second plan, et pour ainsi dire accessoire. La prédation qui s’observe ici est d’abord d’ordre économique et commercial : nous savons que toutes ces données sont ensuite vendues à des sociétés de marketing, qui les utilisent à mieux cibler les publicités de leurs clients… Comme l’a d’ailleurs fort bien décrit Brandon Smith dans un article récent, la collecte de toutes nos données n’a pas tant pour objet la surveillance individuelle que l’anticipation et même le contrôle de nos réactions collectives.

Outil d’ingénierie sociale par excellence, internet possède une étrange double propriété : tandis qu’il focalise au cours d’évènements précis les pensées de l’humanité entière vers un seul point, il en divise dans le même temps les interprétations et renforce les clivages idéologiques existants. C’est parfaitement compréhensible, puisqu’au sujet de chacun de ces évènements sont racontés tout et son contraire. Sorte de tour de Babel numérique, le net provoque souvent la mécompréhension réciproque, et nous condamne à échéance à la disparition pure et simple de tout langage humain… Au Japon, un pays-laboratoire des états-uniens depuis 1945, il existe des réseaux sociaux sans communication possible par le Verbe, uniquement par « émoticônes ». Et déjà, pour beaucoup d’entre nous, la plupart de nos sens, de nos émotions et de nos pensées sont quotidiennement absorbées dans la grande matrice binaire. Convertis en séries séquentielles de 0 et de 1 ; débarrassés enfin de toute peau humaine…

Certes, internet favorise l’éveil des consciences de quelques-uns. Mais il favorise aussi la déchéance de ceux qui n’en saisissent pas l’occasion. Et dans tous les cas, notre passivité physique devant nos écrans reste une aubaine pour les dirigeants : car pendant que nous demeurons sagement assis, eux ne perdent pas une minute en actes ou paroles inutiles… C’est la seule raison pour laquelle il est encore à peu près possible d’y exprimer ce qu’on veut. Si le préjudice d’un internet libre était plus important que le bénéfice, il est évident que les élites nous couperaient la chique sans autre forme de procès.

Il y a enfin, du moins dans nos sociétés occidentales domestiquées et policées, cette Peur qu’internet participe à alimenter. Peur du chômage, de la misère, de l’isolement. Peur de se battre et risquer de prendre des coups. Peur de l’échec et peur de la mort ; mais peut-être aussi et surtout peur de la Vie… La sidérante accélération du cours des évènements mondiaux amplifie notre angoisse de voir cette contre-civilisation disparaître. Elle ira en se développant jusqu’au jour où, totalement perdus et tétanisés, nous découvrirons avec horreur que la lumière s’est éteinte. Ce système de prédation à bout de ressources finira par s’auto-dévorer. Alors nous faudra-t-il enfin faire face à la trouille qui nous paralyse… Mais dans la fureur et le chaos qui s’ensuivront, il sera pour beaucoup d’entre nous trop tard. Non seulement le combat sur internet trouve ses limites, mais on l’a vu, il est aussi à double tranchant. Il est impératif pour notre avenir d’aller au-delà… Tant qu’il nous le permet, internet doit dans cette optique nous servir à tisser des liens dans la vie RÉELLE et nous préparer à faire face au chambardement qui se profile.

Depuis « Nakba », mon message n’a cessé d’être celui-ci : devant l’urgence des menaces qui nous concernent, il est impératif de laisser de côté nos divergences idéologiques ; de nous focaliser sur ce qui nous unit et non plus sur les faux antagonismes créés de toutes pièces. Je le répète : ce système dualiste, auquel internet procure un approfondissement exponentiel, est à la source de tout impérialisme. Il est à extirper d’abord de nos esprits et de nos cœurs… Cette crainte de nous dissoudre ou de nous perdre dans le grand Tout n’est que la gestation d’un retour conscient à la simple Unicité qu’au fond, nous n’avions jamais oubliée.

À l’image de la Terre et du Ciel, l’Homme est une sphère vouée à l’irrésistible Révolution. Et si en effet, dans cette nuit noire de l’âme, nous ressentons cette peur et cet insondable vertige devant l’inconnu, nous pouvons être certains que l’épreuve qui nous attend soit à la mesure du soleil radieux que nous appelons de nos vœux, et dont nous devinons déjà, sous nos paupières mi-closes, les premiers rayons de l’aurore.

Le rêve perd peu à peu de sa consistance, et déjà demain nous appelle. Il exige de nous le courage de le regarder dans les yeux… L’heure est venue de nous réveiller.

Zénon

Image à la Une : http://edition.cnn.com/2015/02/09/opinion/davidson-kehl-internet-everywhere/

 

 

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