La proposition bolo’bolo

Imaginer et préparer une sortie du capitalisme

Par Les Renseignements Généreux

Depuis la crise financière de 2008, les critiques du capitalisme se multiplient. Chaque semaine ou presque sort un nouveau livre expliquant combien ce système mène l’humanité au désastre par le creusement des inégalités sociales, le renforcement des oligarchies, l’approfondissement des crises économiques, des catastrophes industrielles et environnementales…

Parmi ces ouvrages, très peu proposent de nouvelles visions positives de la société, des alternatives possibles au capitalisme. Quelle meilleure organisation économique et sociale imaginer ? Comment construire un monde où l’accès aux biens vitaux, au logement, aux soins, au savoir serait généralisé ? Quelles sont les solutions énergétiques, alimentaires et économiques crédibles ? Et surtout, quelles sont les transitions possibles vers une société post-capitaliste plus égalitaire, plus sobre, plus démocratique ?

Publié en 1983 par l’écrivain suisse P.M., le livre bolo’bolo fait partie des rares ouvrages osant aborder toutes ces questions de front. Trente ans après, découvrons ou redécouvrons cette  »pragmatopie » pour temps de crise.

Automne 2010, souvenons-nous. Plus de trois millions de manifestant-e-s dans les rues. Des raffineries bloquées. Des grèves, des occupations, des actions symboliques un peu partout en France. De magnifiques scènes de fraternité entre ouvriers, cheminots, enseignants, lycéens, chômeurs et retraités. Une mobilisation d’une ampleur rarement vue depuis quarante ans, le signe d’un mécontentement dépassant de loin l’enjeu des retraites.

Puis, en quelques semaines, le reflux des luttes, l’enterrement médiatique, l’arrogance gouvernementale. La poursuite du démontage des protections sociales et des services publics. Une fois de plus, le sentiment d’une asymétrie saisissante entre une oligarchie politique et capitaliste de plus en plus nuisible et dominante, et l’absence de forces d’opposition puissantes et durables.

Nous avons besoin de visions positives

Qu’aurait-il fallu pour que ce gouvernement plie ? Une meilleure coordination des luttes ? Une intersyndicale plus solide ? Une meilleure préparation ? Dans le premier numéro de La Traverse, nous insistions sur ce qui, au-delà des problèmes organisationnels, nous semble faire défaut lors des mouvements sociaux : l’absence de perspectives positives. Depuis dix ans que nous suivons les manifestations de rue, nous avons le sentiment de ne participer qu’à des luttes défensives, réactives, à court terme. Ces mobilisations sont bien sûr indispensables et légitimes. Mais face aux destructions des protections sociales, dans un pays qui, dans le même temps, n’a jamais produit autant de richesses1, nous pourrions imaginer des luttes plus offensives. Des luttes s’appuyant sur des revendications de justice sociale comme la retraite à 55 ans, la semaine de 32 heures, six semaines de congés payés par an, le revenu minimal garanti, la sécurité sociale intégrale, le renforcement des services publics.

Mieux, face aux profondes crises économiques, sociales et environnementales qui empoisonnent notre existence et nous font entrevoir un avenir très difficile, nous pourrions imaginer une multitude de propositions crédibles et réalistes visant à sortir du capitalisme, à réorganiser la société sur des bases plus solidaires, plus sobres, plus démocratiques. Pourquoi, dans les cortèges syndicaux comme dans la presse engagée, les visions post-capitalistes sont-elles si rares ? Depuis dix ans, tout se passe comme si notre seule perspective était de  »limiter la casse », attendre une prochaine mesure gouvernementale plus scandaleuse qu’une autre pour espérer, cette fois-ci, une lutte victorieuse. Comme si nous étions condamnés à nous fixer sur l’instant présent, à dénoncer les ravages du capitalisme tout en restant muets sur ce que pourrait être son dépassement.

Cette torpeur se ressent au sein-même des milieux anticapitalistes, écologistes et libertaires. Des journaux comme CQFD, Silence, Offensive ou Fakir publient de vigoureuses critiques du capitalisme. Ils présentent régulièrement des expériences alternatives, des actions d’écologie pratique, des écoles autogérés, des jardins collectifs, des communautés néorurales… Mais en dehors de formules vagues sur le socialisme, l’autogestion ou la décroissance, très rares sont les propositions de sortie du capitalisme construites et précises, avec des étapes stratégiques possibles, des visions sur la durée2. La plupart du temps, la lecture des médias alternatifs nous plonge dans un certain pessimisme face à l’évolution de la société, l’impression que les principales perspectives proposées, en attendant une hypothétique Révolution, sont la résistance désespérée et le bricolage d’alternatives.

Ce rapport à l’avenir est loin de ne concerner que les milieux contestataires. Il suffit de faire le test autour de soi, de questionner ses proches, ses collègues, sa famille. Quand on aborde la question du futur, on retrouve la plupart du temps des réponses très sombres, apocalyptiques, des images de chaos, de barbarie, de pénurie ; ou, à l’inverse, des visions optimistes exaltées, la croyance dans le pouvoir infini des nouvelles technologies, la certitude d’une humanité capable de se relever de tout. Dans tous les cas, les réponses sont généralement floues, imprécises. L’avenir est un sujet de discussion difficile, presque incongru. On préfère ne pas y penser, se concentrer sur les problèmes du présent.

Pourtant, sans la certitude d’un monde meilleur possible, sans une certaine confiance dans l’avenir, il nous semble très difficile de lutter durablement. Pendant plus de 150 ans, cette confiance et cette ténacité, des générations de militant-e-s l’ont puisé dans les idéaux de communisme, de socialisme ou d’anarchie. Ruinées par le XXe siècle, ces grandes idéologies de libération de l’humanité ne font plus rêver qu’une minorité. Dans l’imaginaire collectif, le mot communisme évoque le goulag et la dictature ; le socialisme, les années Mitterrand et la gauche caviar ; l’anarchie, le chaos et la violence aveugle, soit l’exact contraire de leur contenu théorique.

Pour toutes ces raisons, construire de nouvelles visions de la société que nous voulons nous semble un enjeu majeur. Nous avons besoin de chemins désirables et praticables vers d’autres rapports au monde, vers de meilleures organisations économiques et sociales. D’immenses champs de réflexion s’ouvrent à nous : si le capitalisme nous mène au désastre, par quoi le remplacer ? Comment construire un monde où l’accès aux biens vitaux, au logement, aux soins, au savoir serait généralisé ? Quelles sont les solutions énergétiques, alimentaires et économiques crédibles ? Et surtout, partant de la situation actuelle, quelles transitions imaginer vers une société post-capitaliste plus égalitaire, plus démocratique, plus décente ?

La proposition bolo’bolo

En 1983, l’écrivain suisse P.M. ose aborder toutes ces questions de front dans bolo’bolo, un « ensemble de propositions pratiques pour sortir du capitalisme ». Dans un style vif et espiègle, P.M. décrit ce que pourrait être une société sans capitalisme, sans État, sans salariat, sans propriété privée, sans monnaie, sans banque, sans police, sans armée, et pourtant une société organisée, démocratique, riche en liens sociaux, apte à satisfaire ses besoins matériels.

Autant le dire tout de suite, bolo’bolo est davantage un plan d’ensemble qu’un schéma précis. Il s’agit avant tout d’un encouragement à débrider nos imaginaires, à sortir de notre torpeur, à se saisir des propositions post-capitalistes pour les jauger et, surtout, proposer mieux3. À la manière du socialisme utopique du XIXe siècle4, bolo’bolo nous propose de nouvelles institutions économiques et sociales avec un niveau de description relativement élaboré. Partant de principes anticapitalistes, écologistes et autogestionnaires, P.M. déploie devant nous tout un monde, avec ses relations sociales, sa culture, ses institutions, son économie, son alimentation, sa technologie.

Une fédération de petites communes

bolo’bolo nous présente une humanité regroupée en une multitude de petits collectifs de quelques centaines de personnes, chaque collectif occupant un territoire de quelques hectares, les bolo. Chaque bolo est conçu pour assurer ses besoins essentiels en nourriture, en logement, en énergie et en premiers secours. L’agriculture et la maintenance des énergies renouvelables occupent une place centrale.

En matière d’organisation interne, les bolo fonctionnent comme des associations civiles ouvertes. Le mode de vie, les conditions d’entrée, les droits et les devoirs sont décidés collectivement par des assemblées régulières. La variété culturelle des bolo est donc infinie. Certains sont constitués de personnes souhaitant partager un même style de vie philosophique, religieux, idéologique. D’autres ont pour seul objectif de fournir à chaque membre une base matérielle minimale (logement, nourriture, ateliers, services divers…), sans interférence dans la vie privée, quel que soit leur type (famille, couple, individu, groupe…). Au niveau régional, les bolo se coordonnent entre eux pour assurer certains besoins complexes comme les services de chirurgie, la fabrication d’objets élaborés, l’entretien des voiries, les transports en commun, etc. Au niveau continental et planétaire, des rencontres sont régulièrement organisées pour débattre des problèmes globaux. Dans bolo’bolo, la vie est frugale, sobre, mais d’une grande richesse humaine, créative et démocratique.

Nous n’irons pas plus loin dans cette description des bolo. bolo’bolo est un petit livre rapide et facile à lire. Le style parfois provocateur et cynique peut désarçonner, en particulier les réflexions sur la mort, la propriété privée, la résolution des conflits. Mais il s’agit d’une œuvre didactique, stimulante, dont les facéties semblent avant tout destinées à nous faire réagir. Une synthèse ou un résumé risquerait d’affadir l’originalité du propos.

En revanche, nous avons voulu souligner ici les lignes de force, l’ossature, les principales hypothèses avancées par P.M., celles qui nous semblent constituer des points de départ passionnants pour qui souhaite imaginer une société post-capitaliste :

1. L’autonomie matérielle entrave le capitalisme

La puissance du capitalisme et de l’État résident dans leur capacité à susciter et fournir nos besoins, nous maintenant ainsi dans une situation de dépendance quasi-absolue. Pour P.M., le meilleur rempart contre la concentration de capital et de pouvoir, c’est l’autonomie matérielle, c’est-à-dire la capacité de la population à produire son alimentation, ses logements, ses outils, ses besoins primaires.

Suite à l’adresse suivante :

http://www.les-renseignements-genereux.org/fichiers/15297

LA REVUE COMPLÈTE :

http://www.les-renseignements-genereux.org/var/fichiers/traverse/LaTraverse3.pdf

 

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