Génération Dolan

On les a beaucoup vus et entendus au printemps dernier. Ils ont transformé une crise étudiante en débat social. Et on risque de les voir encore plus durant la prochaine campagne électorale. Si chaque nouvelle génération porte son lot de rêves et de rancunes, les Y s’affichent sans complexes, ambitieux et mûrs. Place aux jeunes.

Le multimilliardaire Mark Zuckerberg a lancé la première version de Facebook à 20 ans et a été élu personnalité de l’année par le magazine Time à 25 ans. À 23 ans, Xavier Dolan, le «Rimbaud du cinéma» (dixit le magazine français Le Point), a déjà présenté trois longs métrages au Festival de Cannes. Cette semaine, à 20 ans, Léo Bureau-Blouin est devenu le candidat-vedette du parti de René Lévesque.

Si on ne mesure pas le talent ou la valeur d’un individu à sa date de naissance, il y a actuellement un véritable phénomène autour de la génération Y. Et depuis le conflit étudiant du printemps dernier, plus personne ne peut le nier. Car, contrairement à la génération X, qui était coincée et délaissée par les omniprésents baby-boomers, les Y profitent de la conjoncture et sautent sans crier gare dans l’arène de la vie publique, sociale et politique.

«Ce que l’on ne fait pas à 20 ans, on le regrette à 40, croit le cinéaste Xavier Dolan. L’avenir, c’est demain. Nous sommes en 2012. Un an, c’est cinq ans. J’ai lu cette semaine un article intéressant de Patrick Lagacé qui disait qu’il faut avoir vécu autre chose que de la politique pour se lancer en politique ou, plus largement, dans la plupart des domaines. C’est tout à fait vrai. Malheureusement, si vivre autre chose signifie attendre 15 ans avant de faire des gestes concrets envers une société en demande dans l’immédiat, c’est trop de procrastination.»

«C’est le retour du balancier démographique, estime Margot Ricard, professeure à l’école des médias de l’UQAM. Il y a une fenêtre d’opportunités qui est ouverte (avec les boomers qui commencent à prendre leur retraite et l’arrivée des nouvelles technologies). Et les jeunes en profitent pour prendre leur place autour de la table.»

Mme Ricard travaille depuis 25 ans dans le milieu des communications et de la télévision. Elle n’est pas surprise de voir de nouvelles têtes d’affiche parmi les leaders étudiants: «Ils sont brillants et éloquents, mais surtout très conscients de l’avenir, dit-elle. C’est la première génération, depuis un siècle, qui risque d’avoir moins de biens et de richesse que ses parents dans tous les domaines: santé, éducation, économie, environnement. Alors ils savent qu’ils vont devoir se battre pour garder les acquis.»

Une ferveur nouvelle

Pour illustrer cette fougue qui anime les 20-25 ans, Léo Bureau-Blouin cite une politicienne d’expérience: «Louise Harel disait que ses parents, qui ont vécu dans la Grande Noirceur, avaient peur. Sa génération (les boomers) a cessé d’avoir peur. Et nous, les Y, nous n’avons plus peur de faire peur.»

«Notre génération ne connaît pas cette humilité automatique des gens qui ont été opprimés, explique Xavier Dolan. Elle pense et agit avec une ferveur nouvelle, inspirée par l’ambition américaine et mondiale qui nous éclabousse par l’internet. Les médias sociaux lui adjugent un pouvoir unique, diffusent sa parole, captent ses gestes, répandent son rêve. Elle prend confiance et se sent investie d’une mission.»

Au risque de déranger notre confort et de secouer notre indifférence. «Le débat sur le gel des droits de scolarité est loin de faire consensus au Québec, reconnaît Léo Bureau-Blouin. Or, au lieu de se décourager, de reculer, les jeunes n’ont pas hésité à le mener malgré tout. Finalement, je crois que la crise étudiante a permis aux autres générations de nous regarder avec plus de sensibilité, ou moins de préjugés.»

Génération préparée

Il est toujours périlleux de généraliser et de stéréotyper une génération en entier. Or, pendant des années, lorsqu’on parlait des Y, on le faisait souvent en termes peu élogieux. Enfants rois ou Tanguy, geeks ou gamers, adeptes de la surconsommation et du moindre effort, asociaux et accros à l’ordi… Les étiquettes fusaient. Il faut dire que la télévision a contribué à nourrir ces préjugés. On les voyait bronzés et épilés à Loft Story ou Occupation double en se disant que ces jeunes-là ne liraient jamais un livre de leur vie.

«On avait tout faux! dit le metteur en scène Yves Desgagnés. C’est la première génération qui a vraiment bénéficié de l’instruction de ses parents au Québec. Pas seulement parce qu’elle a eu accès aux études supérieures, mais aussi parce qu’on l’a encouragée à lire, à voyager, à s’informer et à apprendre des langues.»

Mais où étaient-ils, ces jeunes? «Ils étaient cachés au fond de nos préjugés de boomers, poursuit Desgagnés. Certains (vieux) chroniqueurs s’imaginent qu’après eux, c’est le déluge! Or, au printemps dernier, ils n’ont plus eu le choix de voir la jeunesse. Ils devraient maintenant l’écouter.»

«Notre génération n’est pas meilleure ou moins bonne que les autres, rétorque Léo Bureau-Blouin. Mais elle a la chance d’occuper plus de place, d’avoir plus d’opportunités. Tous nos professeurs nous l’ont dit et répété: vous allez vous trouver devant une multitude de choix après vos études. Votre situation est plus favorable que jamais.»

Un conseil qui a sûrement aidé le nouveau politicien à prendre la décision de se lancer en campagne électorale.

Sans complexes

Les temps changent. En 1990, la génération X se qualifiait de «génération sacrifiée par la mort du rêve et des idéologies miracles», pour citer Dominic Champagne. Le créateur du spectacle-culte de cette génération, Cabaret Neiges noires, se moquait avec cynisme de la morale de ses aînés. À l’époque, le chroniqueur Richard Martineau a même pondu un essai, La chasse à l’éléphant, métaphore du poids des boomers qui écrasaient tout sur leur passage…

Les enfants de la mondialisation et des réseaux sociaux n’ont pas ce genre de ressentiment à l’égard des générations précédentes. «La planète leur appartient! Leurs références et leurs repères ne sont pas locaux, provinciaux ou nationaux, mais mondiaux!», dit Yves Desgagnés.

Les Y n’ont pas le complexe du petit Québécois… ni celui du deuxième sexe. On l’a bien vu lors de la controverse autour de la coalition des humoristes et de la CLASSE: les jeunes féministes veillent au grain. La nouvelle présidente de la Fédération étudiante collégiale du Québec (Éliane Laberge, 19 ans) le résume ainsi dans le blogue Nous sommes des filles: «Cette année, autour de la table de la FECQ, c’était plus féminin que masculin, ce qui veut dire que cette pression-là (la place des femmes), moi, je ne la ressens pas dans la fédération. Ni en général dans la vie.»

Contrairement aux baby-boomers qui formaient un groupe assez homogène, les jeunes ont des expériences très diverses, explique Diane Pacom, professeure de sociologie à l’Université d’Ottawa. «On ne peut pas parler des jeunes comme d’une entité globale.»

Diane Pacom s’intéresse aux jeunes comme sujet d’étude et de recherche depuis 30 ans. Selon elle, deux choses caractérisent les Y: la fragmentation, justement, et l’éphémère. «Pour eux, rien n’est coulé dans le béton. Il n’y a pas de contrat à vie ou de permanence, plutôt un horizon infini de choix, ce qui donne le vertige. Les jeunes ont un rapport extrême avec le monde.»

Elle croit aussi que les Y sont très perfectionnistes et craignent l’échec comme la peste. «Prenez les leaders étudiants du printemps dernier. Ils n’ont rien à voir avec ceux de Mai 68 en France. Ils sont beaux, éloquents, performants (au plus fort de la crise, ils donnaient 30 entrevues par jour aux médias!), alors que les Daniel Cohn-Bendit et compagnie étaient romantiques, bordéliques, chaotiques. Or, cette maturité précoce, ça m’inquiète. Les jeunes Y ressemblent à des adultes entrepreneurs… Alors que la jeunesse, c’est fait pour expérimenter des choses.»

Et faire des erreurs.

Fais-le toi-même

L’auteur et comédien Jean-Philippe Baril Guérard, 23 ans, codirige la compagnie En Petites Coupures. Il fait du théâtre pour les jeunes adultes avec un contenu qui intéresse la génération YouTube. Alors que plusieurs acteurs attendent que le téléphone sonne pour décrocher un rôle, il préconise la bonne vieille formule do it yourself.

«On ne fait pas de demandes de subvention. Sans faire table rase du système, on ne veut pas dépendre du mécénat ou du Conseil des arts pour se produire. On prend notre place naturellement.»

C’est exactement ce qu’a fait Xavier Dolan à 18 ans: réaliser J’ai tué ma mère avec ses économies. «Je ne pouvais pas aller dans une école de cinéma parce que j’étais trop jeune, raconte Dolan. Je voulais, pourtant. Il faut parfois saisir le caractère exceptionnel et fragile des occasions. Quand quelque chose se présente, l’instinct doit nous guider.»

«On n’est pas une génération écrasante d’un point de vue démographique, avance Léo Bureau-Blouin. Ni refermée sur elle-même. On a la possibilité de créer des ponts entre les générations. Ne serait-ce que d’un point de vue stratégique, on n’a pas le choix. On va tous vieillir, c’est une question de temps…»

Il y a environ 200 000 jeunes de 18 à 24 ans au Québec. Bien sûr, tous ne sont pas sous les projecteurs du cinéma, des médias ou de la politique. Mais le contexte général est propice au changement… et aux rêves. La génération de Xavier Dolan compte sur un bon nombre de jeunes gens instruits ou autodidactes, curieux et convaincants, brillants et militants.

«Nous avons vu naître le siècle en même temps que mouraient des projets sociaux et des idéaux collectifs décimés par le scepticisme et l’individualisme», conclut le réalisateur de 23 ans. «C’est le propre d’une nation déçue à qui l’on a dit de se taire. Désormais, le dialogue semble vain; l’écoute, sourde; le débat, mort. C’est ça qu’il faut changer, précisément. La possibilité, ici, chez nous, de penser le Québec.»

Source : http://www.lapresse.ca/actualites/201207/28/01-4560286-generation-dolan.php